La modification de la LBA1Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024. et de la LCMP2Loi fédérale du 20 juin 1933 sur le contrôle du commerce des métaux précieux et des ouvrages en métaux précieux (Loi sur le contrôle des métaux précieux, LCMP ; RS 931.41) Etat au 1er juillet 2024., adoptée par le Parlement le 19 mars 2021 et entrée en vigueur le 1er janvier 2023, vise à soumettre les personnes exerçant l’achat par métier de matières pour la fonte en métaux précieux (métaux précieux usagés) à la surveillance du Bureau central du contrôle des métaux précieux. Ces personnes doivent désormais être enregistrées ou titulaires d’une patente, et respecter les obligations de diligence et de documentation prévues par la législation. À l’issue d’une période transitoire, tous les particuliers et entreprises concernés doivent impérativement disposer d’un enregistrement ou d’une patente à compter du 1er janvier 20243FF 2019 5237, 5329..
Cette chronique revient sur l’origine des nouvelles dispositions légales et décrit les obligations de diligence et de documentation désormais imposées par l’article 31a de la LCMP. Elle met en lumière certaines failles préoccupantes et appelle le législateur à agir pour limiter les abus.
Le rôle du Bureau central du contrôle des métaux précieux
Le Bureau central du contrôle des métaux précieux (ci-après Bureau central) est rattaché à l’Office fédéral des douanes et de la sécurité des frontières (OFDF). Il est chargé de surveiller le commerce des métaux précieux et des ouvrages en métaux précieux selon la LCMP et la LBA4Art. 36 al. 1 LCMP.. Cela implique notamment, la surveillance de la fabrication de produit de la fonte (lingots)5Art. 168d Ordonnance du 8 mai 1934 sur le contrôle du commerce des métaux précieux et des ouvrages en métaux précieux (Ordonnance sur le contrôle des métaux précieux, OCMP ; RS 941.311) Etat au 1er janvier 2024., de l’achat par métier de métaux précieux usagés6Art. 172f OCMP par analogie 168d OCMP. ainsi que le négoce de métaux précieux bancaires à titre professionnel par des essayeurs de commerce7Art. 42ter LCMP; art. 2 al. 2 let. g LBA..
Définitions
Métaux précieux
Les métaux précieux sont l’or, l’argent, le platine et le palladium8Art. 1 al. 1 LCMP..
Matières pour la fonte
Les métaux précieux usagés tombent sous le coup de la définition des matières pour la fonte9Art. 1, al. 3, let. b et c LCMP.. On entend par là, notamment les (vieux) bijoux ainsi que les déchets de fabrication contenant des métaux précieux susceptibles d’être récupérés10Message concernant la modification de la loi sur le blanchiment d’argent (FF 2019 5237, 5284)..
L’achat par métier
L’activité d’achat est considérée par métier lorsqu’elle est exercée de manière régulière et dans un but lucratif, indépendamment du fait qu’il s’agisse d’une activité principale ou secondaire et que la valeur marchande totale de la marchandise négociée est supérieur à 50 000 francs par année civile11Art. 164 al. 3 et 4 OCMP..
Nouvel article 31a LCMP – les motifs
Le 1er juin 2008, dans le cadre de la suppression et de la simplification de certaines procédures d’autorisation, l’obligation d’obtenir une autorisation pour l’achat et la vente, à titre professionnel, de matières destinées à la fonte a été abolie12Message concernant la modification de la loi sur le blanchiment d’argent (FF 2019 5237, 5284).. Cette mesure a été justifiée par le fait que cette autorisation ne constituait pas un instrument efficace pour lutter contre le commerce illégal et le recel de ces matières ainsi que des produits issus de la fonte13Rapport explicatif du 1er octobre 2021 relatif au projet mis en consultation concernant la modification de l’ordonnance sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, note de bas de page no. 43, p. 30, (https://fedlex.data.admin.ch/eli/dl/proj/2021/66/cons_1) – [consulté, le 10.05.2025]..
Le rapport du Groupe de coordination interdépartemental sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (ci-après GCBF), publié en juin 2015, indique que « …l’achat et la vente de vieil or sont libres de toute autorisation et ne sont pas soumis au dispositif de la LBA. Or, depuis 2009, le volume de vieil or vendu par des particuliers en Suisse, la plupart du temps contre de l’argent en espèces, a considérablement augmenté14Groupe de coordination pour la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (GCBF), Premier rapport national sur les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme en Suisse, 2015, p. 104, (https://www.news.admin.ch/fr/nsb?id=57750) – [consulté, le 10.05.2025]..
Lors de l’évaluation mutuelle de la Suisse par le GAFI en 2016, la problématique des métaux précieux usagés, en particulier celle du vieil or, a été abordée avec les évaluateurs au cours de leur visite dans le pays. Bien qu’aucune recommandation explicite n’ait été formulée à ce sujet dans le rapport d’évaluation, les experts ont exprimé leur préoccupation quant à l’absence de réglementation encadrant ce secteur, qu’ils considéraient comme un facteur de risque en matière de blanchiment d’argent. Le Conseil fédéral et les autorités suisses compétentes, partageant cet avis, ont estimé que l’introduction dans la LCMP d’un mécanisme de contrôle applicable à l’achat par métier de métaux précieux usagés permettrait de combler une lacune juridique et, par conséquent, à réduire significativement le risque de blanchiment d’argent15Message concernant la modification de la loi sur le blanchiment d’argent (FF 2019 5237, 5284, 5285)..
Le mécanisme de contrôle vise à assujettir l’achat par métier de métaux précieux usagés à certaines obligations de diligence et de documentation, afin de garantir l’origine légale de la marchandise achetée ainsi que la dénonciation des opérations suspectes. Ce mécanisme vise également à assurer que les acheteurs de métaux précieux usagés soient connus du Bureau central, chargé de veiller au respect des obligations. Initialement, l’avant-projet prévoyait une patente obligatoire pour tous les acheteurs par métier. Toutefois, à la lumière des résultats de la consultation, une approche plus souple a été retenue, les acheteurs inscrits au registre du commerce suisse n’auront pas à obtenir de patente, mais devront simplement s’enregistrer auprès du Bureau central. Seuls ceux non-inscrits au registre du commerce suisse devront solliciter une patente et ainsi ils devront fournir les garanties d’une activité commerciale irréprochable.16Message concernant la modification de la loi sur le blanchiment d’argent (FF 2019 5237, 5285, 5286, 5322).
Conséquences pratiques
Les acheteurs par métier qui sont enregistrés ou ont obtenu une patente d’acheteur auprès du Bureau central sont soumis à une taxe de surveillance17Art. 14b al. 1 Ordonnance réglant la perception d’émoluments et de taxes de surveillance par le Contrôle des métaux précieux (OEmol-CMP ; RS 941.319) Etat au 1er janvier 2023., qu’ils soient inscrits ou non au registre du commerce. Celle-ci s’élève à 2 000 francs pour une période de quatre ans18Annexe 9.1 OEmol-CMP..
Les achats par métier doivent être documentés sous une forme appropriée et contenir les indications minimales suivantes19Art. 172e al. 2 OCMP. :
- le nom et l’adresse du client;
- la date de réception de la marchandise;
- la description précise de la marchandise et, si elle est connue, la composition de la marchandise;
- le poids de la marchandise;
- le prix d’achat;
- la signature du client.
Lors de l’acceptation de matières pour la fonte, les acheteurs enregistrés ou les titulaires d’une patente d’acheteur ne doivent accepter des matières pour la fonte que de personnes en mesure d’établir leur qualité de propriétaires légitimes. L’identité du client doit être vérifiée au moyen d’un document probant, tel qu’un passeport ou une carte d’identité. En cas de doute sur la provenance de la marchandise ou si les offres émanent d’inconnus, l’acheteur est tenu de clarifier20Art. 168a OCMP..
En complément de ces vérifications, les acheteurs enregistrés ou les titulaires d’une patente d’acheteur doivent prendre toutes les mesures organisationnelles nécessaires au sein de l’entreprise afin d’empêcher la provenance illicite de matières pour la fonte. Ils doivent veiller à mettre en place des mesures de contrôle et de surveillance internes, à assurer une formation adéquate du personnel et ils sont tenu de clarifier minutieusement la provenance de la marchandise21Art. 168b OCMP..
Mise en lumière de certaines lacunes…
Le Bureau central publie la liste officielle des acheteurs enregistrés ainsi que des titulaires d’une patente pour l’achat par métier de métaux précieux usagés destinés à la fonte. Lorsqu’un acheteur enregistré sur cette liste fait l’objet d’une condamnation pénale prononcée par une autorité judiciaire compétente — notamment à la suite d’une dénonciation du Bureau central pour non-respect des obligations de diligence, de documentation ou d’autres dispositions légales, y compris relevant de la criminalité économique — il n’existe à ce jour aucune base légale permettant son retrait de la liste officielle22SRF Investigativ, Sonja Mühlemann, Simone Rau, Philippe Odermatt, 29. April 2025, Undercover beim Goldhändler – So wirst du abgezockt, (https://www.srf.ch/play/tv/impact-investigativ/video/undercover-beim-goldhaendler—so-wirst-du-abgezockt?urn=urn:srf:video:be7aaded-f10a-4108-b212-48a58f39cb83) –
[consulté, le 29.04.2025].. Sauf en cas de radiation du registre du commerce, il y demeure pendant une durée de quatre ans, même en présence de condamnations pénales et il pourra demander le renouvellement de son enregistrement. Cette situation permet à un acteur sanctionné de continuer à apparaître comme un professionnel fiable aux yeux du public. Au contraire de la patente d’acheteur qui peut être retirée, si l’intéressé ne présente plus les garanties d’une activité commerciale irréprochable23Art. 31a al. 4 LCMP..
Les estimations du secteur recueillies lors de la consultation du projet, prévoyait qu’une centaine d’acheteurs devaient être concernés par l’obligation d’obtenir une patente24Rapport explicatif du 1er octobre 2021 relatif au projet mis en consultation concernant la modification de l’ordonnance sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, p. 30, (https://fedlex.data.admin.ch/eli/dl/proj/2021/66/cons_1) – [consulté, le 10.05.2025].. Or, seulement six acteurs ont demandé une patente d’acheteur contre 465 acteurs qui se sont enregistrés25Liste des acheteurs enregistrés et des titulaires d’une patente d’acheteur pour l’achat par métier de matières pour la fonte, 9 mai 2025. (https://www.bazg.admin.ch/dam/bazg/fr/dokumente/verfahren-betrieb/Edelmetallkontrolle/liste_ankaufsbewilligung_v41.pdf.download.pdf/liste_ankaufsbewilligung_v41.pdf) – [consulté, le 10.05.2025]..
Dans la mesure où l’enregistrement en tant qu’acheteur est procéduralement bien plus simple que l’obtention d’une patente, et que le risque d’être radié de la liste des acheteurs enregistrés est quasi inexistant, certains acteurs — y compris douteux — domiciliés en Suisse ou à l’étranger ont opté pour la voie la plus simple. Il leur suffit de s’inscrire au registre du commerce, puis de solliciter l’enregistrement auprès du Bureau central en tant qu’acheteur de métaux précieux usagés et ainsi ils contournent le devoir de fournir les garanties d’une activité commerciale irréprochable.
Si le législateur allait plus loin
En Suisse, les transactions d’achat de vieil or s’effectuent majoritairement en espèces. Dès lors, il serait pertinent de mettre en place des mesures visant à assurer une traçabilité complète des flux financiers. Cela permettrait de rendre plus difficile le blanchiment d’argent par le biais de l’achat de métaux précieux usagés destinés à la fonte. Le législateur suisse pourrait, à cet égard, s’inspirer des réglementations en vigueur en France et en Italie, qui encadrent de manière plus stricte les modalités de paiement dans ce secteur.
En France, le paiement en espèces est interdit pour certaines transactions, notamment lorsque qu’un professionnel achète des métaux, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un autre professionnel. Dans ce cas, le règlement doit obligatoirement s’effectuer par chèque barré ou par virement bancaire vers un compte ouvert au nom du vendeur26Code monétaire et financier (France), Partie législative, Livre Ier : La monnaie, Titre Ier : Dispositions générales, Chapitre II : Règles d’usage de la monnaie, Section 3 : Interdiction du paiement en espèces de certaines créances, art. L112-6 al. 1. (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000050367084/2024-10-18) – [consulté, le 12.05.2025]..
L’Italie a instauré un plafond pour les paiements en espèces lors des achats de métaux précieux usagés. Toute transaction d’un montant égal ou supérieur à 500 euros doit obligatoirement être réglée par un moyen de paiement traçable, excluant l’usage de l’argent liquide. Cette exigence vise à garantir la traçabilité de l’opération ainsi que son lien univoque avec l’initiateur de la transaction. L’obligation s’applique tant aux achats qu’aux ventes, qu’ils soient réalisés en une seule fois ou sous forme d’opérations fractionnées27Decreto legislativo 25 maggio 2017 (Italie), n. 92, Disposizioni per l’esercizio dell’attività di compro oro, art. 4, (https://www.normattiva.it/uri-res/N2Ls?urn:nir:stato:decreto.legislativo:2017-05-25;92~art3) [consulté, le 12.05. 2025]..
Conclusion
La hausse des cours des métaux précieux, notamment celui de l’or, dynamise le commerce de ces métaux précieux usagés. La modification de la LCMP et de la LBA a permis d’introduire une régulation indispensable de l’achat par métier de métaux précieux usagés, dans une optique claire de lutte contre le blanchiment d’argent et le recel. Bien que ce dispositif fonctionne de manière satisfaisante28Tara Gross (2024). Réglementation de l’achat de métaux précieux usagés: Premières expériences pratiques du contrôle des métaux précieux. Le magazine clientèle de Gyr métaux précieux SA, 01/24, p.13 -17. (gyr.ch/de/download/?downloads_id=120 ) – [consulté, le 12.05.2025]., il demeure perfectible.
Depuis le début de l’année 2024, une quarantaine de dénonciations pénales29SRF Investigativ, Sonja Mühlemann, Simone Rau, Philippe Odermatt, 29 avril 2025, Undercover beim Goldhändler – So wirst du abgezockt, (https://www.srf.ch/news/schweiz/undercover-recherche-abzocke-beim-goldhaendler-so-tricksen-clans-ihre-kunden-aus) – [consulté, le 29.04.2025]. ont été transmises aux ministères publics cantonaux. Elles visent des acteurs déjà inscrits sur la liste officielle — qui y demeureront malgré une condamnation — ainsi que d’autres, non encore inscrits, qui pourraient s’y faire enregistrer sans devoir démontrer les garanties d’une activité commerciale irréprochable.
Il appartient désormais au législateur de déterminer s’il souhaite réintroduire une patente d’acheteur généralisée, assortie de l’exigence d’une garantie d’une activité commerciale irréprochable qui en découle ou instaurer d’autres critères clairs de refus ou de retrait à l’enregistrement en tant qu’acheteur par métier de métaux précieux usagés.
Des mesures complémentaires, inspirées de pratiques internationales — notamment celles en vigueur en France ou en Italie — pourraient renforcer la transparence et l’efficacité du dispositif suisse, en particulier en matière de traçabilité des transactions financières, qui demeure un enjeu central dans ce secteur d’activité.
Il apparaît donc essentiel de poursuivre l’amélioration du cadre juridique, non seulement pour combler les lacunes identifiées, mais aussi pour préserver la crédibilité de l’ensemble du secteur, tout en évitant de pénaliser les professionnels qui agissent de manière conforme.
Dans tous les cas, il est vivement recommandé de consulter les directives publiées sur le site de l’OFDF avant de vendre votre vieil or30Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF), Prudence lors de la vente d’or, 2024 (https://www.bazg.admin.ch/bazg/fr/home/themes/controle-des-metaux-precieux/empfehlungen-verkauf-altgold.html) – [consulté, le 12.05.2025]..