Bonjour, c’est la police !

Auteur
Mary-Claude Bayard, Etudiante du MAS LCE
Thématique
Cybercriminalité et nouvelle technologie, Fraude

« Bonjour, c’est la police. Surtout ne raccrochez pas, c’est une urgence ! …….. », c’est ainsi que débute le premier contact d’un faux policier avec sa future victime.

L’escroquerie aux faux policiers est un phénomène qui est apparu il y a une quinzaine d’années trouvant ses origines dans l’astuce du neveu, elle-même descendant de l’arnaque au tapis ou au manteau de fourrure. Selon Rolf Rüdisser1RÜDISSER, Rolf, 2024. Interview réalisée le 04.01.2024., procureur bernois en charge de la poursuite des infractions économiques, il est difficile de chiffrer correctement ce phénomène, car tous les cantons ne recensent pas les arnaques « réussies », les tentatives ou les arrestations de manière uniforme. Il est néanmoins établi que l’escroquerie aux faux policiers est moins répandue en Romandie, car les auteurs s’expriment en dialecte alémanique, en bon allemand ou en italien. Ceci n’empêche que le montant des dommages répertoriés dans notre pays a pris l’ascenseur ces dernières années pour atteindre plus de 3,5 millions de francs pour la période de janvier à août 20232Blick Suisse, 2023. Les appels aux faux policiers causent d’énormes dégâts. Blick.ch [en ligne]. Publié le 25.09.2023. [Consulté le 08.01.2024]. Disponible à l’adresse : https://www.blick.ch/fr/news/suisse/les-appels-de-faux-policiers-causent-denormes-degats-plus-de-300-victimes-de-fraudes-telephoniques-en-suisse-id18976346.html. !

Source de l’image : Etat de Fribourg, 2024. Les faux policiers au téléphone se multiplient. Fr.ch [en ligne]. Publié le 21.01.2022. [Consulté le 10.01.2024]. Disponible à l’adresse : https://www.fr.ch/dsjs/pol/actualites/les-faux-policiers-au-telephone-se-multiplient

Mode opératoire de l’arnaque aux faux policiers

Le fonctionnement de ce type d’escroquerie est très bien huilé et comprend différents niveaux d’intervenants. Tout d’abord les « donneurs d’ordre » (appelés « coinceurs »), qui agissent depuis l’étranger et dont la mission principale est de repérer les victimes potentielles, de les contacter et de les inciter à déposer des sommes d’argent importantes dans leurs boîtes aux lettres ou à les remettre à de prétendus collaborateurs passant à leur domicile. Les « coinceurs » ne prennent pas le risque d’être arrêtés par les autorités de poursuite pénale en Suisse, car ils agissent depuis l’étranger, le plus souvent depuis la Turquie ou la Pologne, et effacent toutes les traces qui pourraient permettre de les localiser précisément et de les identifier. Apparaissent ensuite les « ramasseurs », dont l’activité consiste à récupérer discrètement l’argent que les victimes ont déposé dans leur boîte aux lettres. Les « ramasseurs » sont souvent accompagnés d’un chauffeur et deviennent ensuite blanchisseurs d’argent en exécutant les instructions des « coinceurs » de l’étranger et en convertissant l’argent en cryptomonnaie ou en le transférant à l’étranger via des sociétés de transfert d’argent. Contrairement aux « coinceurs », les « ramasseurs » prennent de gros risques, car ils peuvent être pris en flagrant délit par les autorités de poursuite pénale et atterrir en prison3Tribune de Genève, 2020. Arrestation de deux faux policiers à Thoune. Tdg.ch [en ligne]. Publié le 23.12.2020. [Consulté le 08.01.2024]. Disponible à l’adresse : https://www.tdg.ch/arrestation-de-deux-faux-policiers-arnaqueurs-a-thoune-670378933594..

Elisabeth, Adelaïde, Ruth, Rose : toutes naïves ?

Le profil type des victimes de faux policiers laisse apparaître une femme, âgée et vivant seule. Pour les sélectionner, les escrocs consultent les banques de données publiques tel que l’annuaire téléphonique. Ils ciblent les prénoms féminins mentionnés suite à un nom de famille composé, laissant supposer que la dame est âgée et veuve. Selon le Procureur Rüdisser, « les femmes sont ciblées, car elles sont socialement plus réceptives et veulent aider ».

L’arnaque aux faux policiers semble facilement reconnaissable au premier coup d’œil par tout un chacun. Vu de l’extérieur, on pourrait même sourire de la naïveté des victimes. Mais la réalité est bien différente des apparences, car le mode opératoire est extrêmement efficace et suffisamment sournois pour que les victimes, d’un âge avancé, tombent dans le piège.

Alors, ça marche comment ?

Tout d’abord, la personne lésée reçoit des appels répétés sur son téléphone fixe ou mobile à son domicile de la part d’inconnus qui se font volontairement passer pour des membres de la police ou du ministère public. Dans le but de tromper, les escrocs dissimulent leurs numéros de téléphone ou utilisent des numéros falsifiés (call ID spoofing). La personne dupée est ciblée par les inconnus à l’aide des entrées de l’annuaire téléphonique, selon les critères décrits plus haut.

La personne ainsi choisie est ensuite appelée plusieurs fois à intervalles rapprochés par les malfaiteurs, les appels pouvant durer de quelques secondes à 60 minutes ou plus. Ce mode opératoire a pour but de faire pression sur la personne âgée, de souligner l’urgence et le sérieux de l’affaire et de l’empêcher de rompre le silence sur l’enquête qu’elle a préalablement convenu avec le prétendu policier vis-à-vis de tiers.

De cette manière, les auteurs inconnus présentent à la victime, d’une part, des faits fictifs qu’elle ne peut pas vérifier et reconnaître comme faux dans le court laps de temps dont elle dispose et, d’autre part, ils construisent un réseau complexe de mensonges dans lequel plusieurs auteurs coopérant au niveau international jouent différents rôles. Grâce à cette approche, ils cherchent à tromper de manière qualifiée chaque victime soigneusement sélectionnée afin de provoquer chez elle une erreur et de l’inciter ainsi à leur remettre une importante somme d’argent.
Avec une représentation erronée de l’identité de ses interlocuteurs et de leurs intentions réelles, la victime retire la somme d’argent convenue de son compte bancaire et la dépose dans sa boîte aux lettres, pensant à tort qu’elle aide la police à résoudre des crimes récents ou qu’elle met son argent en sécurité.

Un « ramasseur » intervient alors, dont la mission est de récupérer discrètement l’argent déposé par la victime dans la boîte aux lettres ou de se le faire remettre en échange d’un mot de passe convenu au préalable avec l’inconnu, pour le transférer ensuite aux commanditaires après déduction de sa commission. Pour ce faire, la somme récupérée est convertie en bitcoins (et les QR codes correspondants transmis par WhatsApp aux commanditaires) afin de rendre beaucoup plus difficile l’identification de l’origine des fonds et la possibilité de les saisir par les autorités de poursuite pénale.

Le tour est joué.

Quelles sont les règles transgressées ?

L’escroquerie aux faux policiers est un problème qui préoccupe les autorités de poursuite pénale en Suisse depuis plusieurs années et qui présente des aspects très cruels : les victimes sont des personnes âgées, d’autant plus vulnérables qu’elles sont souvent seules, et les méthodes utilisées par les auteurs sont particulièrement agressives. Le sentiment de honte que les victimes éprouvent a posteriori et l’angoisse qu’elles ressentent en réalisant qu’elles ont eu affaire à des malfaiteurs, plus encore que la perte de sommes d’argent importantes, sont des émotions qui laissent évidemment des traces indélébiles.

D’un point de vue pénal, l’arnaque aux faux policiers est une infraction contre le patrimoine, plus précisément une escroquerie au sens de l’art. 146 al. 1 CPS4Code pénal suisse (CPS) du 21 décembre 1937, RS 311.0. passible d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. En effet, les auteurs construisent de manière astucieuse un réseau complexe de mensonges pour arriver à leurs fins. Il est essentiel de relever que l’âge avancé des victimes de ce type d’arnaque a été reconnu par le Tribunal fédéral comme critère pertinent pour qualifier d’astucieux le comportement des auteurs d’escroquerie dans son arrêt 6B_184/2020 du 13.09.2021. Afin de rendre beaucoup plus difficile l’identification de l’origine des fonds et de réduire à néant la possibilité de confiscation par les autorités de poursuite pénale, les auteurs s’empressent généralement de convertir l’argent liquide volé en bitcoins et de les transférer à l’étranger, ce qui les rend coupables de blanchiment d’argent au sens de l’art. 305bis ch. 1 CPS et les expose à une peine privative de liberté de trois ans ou plus ou à une peine pécuniaire.

Lors de la fixation de la peine, le degré de réalisation (art. 22 al. 1 CPS) et la participation de l’auteur (art. 25 CPS) sont des facteurs décisifs qui influencent la décision du juge. La culpabilité de l’auteur, ses antécédents ainsi que sa situation personnelle sont également pris en compte (art. 47 CPS). Si, comme dans la plupart des cas, la personne prévenue d’escroquerie et de blanchiment d’argent est le « ramasseur » et n’a pas de casier judiciaire, la peine (peine privative de liberté ou peine pécuniaire) sera assortie du sursis (art. 42 al. 1 CPS) et soumise à une période probatoire (art. 44 al. 1 CPS). Il convient de noter que si le « ramasseur » est encore en possession de valeurs patrimoniales appartenant à la victime au moment de son arrestation et qu’elles ont pu être saisies par la police et séquestrées par le ministère public (art. 263 al. 1 let. d CPP5Code de procédure pénale (CPP) du 05.10.2007 ; RS 312.0.), elles seront restituées à qui de droit ou confisquées (art. 70 al. 1 CPS).

Les déclinaisons de l’arnaque aux faux policiers

Plusieurs phénomènes avec des modes opératoires similaires ont été observés ces dernières années dans notre pays. En voici une sélection avec leurs caractéristiques correspondantes :

Faux neveux : un parfait inconnu contacte la victime par téléphone et lui fait croire qu’il existe une relation de « parenté » entre eux. L’inconnu convainc la victime qu’il se trouve dans une situation financière difficile (perte de son emploi, rupture de son mariage ou pensées suicidaires) ou qu’il a un besoin urgent d’argent (achat d’une maison). Pour l’aider, la victime remet une somme d’argent importante à une personne de confiance désignée par le faux neveu, qui est également un parfait inconnu, afin de le sortir de cette situation de détresse. A titre indicatif, selon Christa Lüthi, Cheffe de la Brigade financière de la police cantonale bernoise, « en 2016, la somme moyenne des dégâts se situe à 42’000 francs par cas. Plus de 3 millions de francs ont été escroqués au total. »6Tschugger-Flic (Police cantonale bernoise), 2017. Brochure Sommer | Eté 2017, pages 4 à 9.. Ces données ont toutefois triplé en huit ans, puisque ce sont plus de 9 millions de francs qui ont été escroqués au total en 2023 selon le Procureur Rüdisser.

Appels téléphoniques choc : un prétendu représentant des autorités de poursuite pénale appelle sa victime en prétendant qu’un proche parent (généralement un enfant ou un petit-enfant de la victime) a causé un très grave accident de la route mettant en danger la vie d’autrui. La pression exercée sur la victime l’amène ensuite à remettre de l’argent liquide à un prétendu policier afin de payer les frais de l’accident prétendument causé.

Faux cambriolages : dans ce cas, la victime est amenée à croire que ses données personnelles (adresse, code bancaire) ont été retrouvées chez des malfaiteurs qui ont l’intention de commettre un cambriolage. Les auteurs persuadent ensuite la victime de leur remettre l’argent ou les bijoux pour les mettre en sécurité, en indiquant qu’elle pourra les récupérer plus tard.

Mesures visant à éradiquer le phénomène

Selon le Procureur Rüdisser, outre la vigilance, la mesure phare visant à éradiquer le phénomène consiste tout simplement à modifier ou supprimer son inscription dans l’annuaire téléphonique. Pour ce faire, la Prévention Suisse de la Criminalité propose, entre autres mesures de prévention, un formulaire en ligne mentionnant que seule la première lettre de son prénom suivi d’un seul nom de famille apparaisse ou que l’inscription soit supprimée7Prévention Suisse de la Criminalité, 2024. Arnaque par téléphone : quand le faux policier prend soin de votre argent. Skppsc.ch [en ligne]. Publié le 06.07.2021. [Consulté le 08.01.2024]. Disponible à l’adresse : https://www.skppsc.ch/fr/arnaque-par-telephone-quand-le-faux-policier-prend-soin-de-votre-argent., éliminant ainsi toute possibilité de se faire repérer par les escrocs.

Les polices cantonales, de leur côté, sont également actives en misant sur la prévention notamment par la distribution de flyers ou la diffusion d’informations sur leurs sites8Police cantonale bernoise, 2024. Faux policiers (spoofing). Police.be.ch [en ligne]. [Consulté le 08.01.2024]. Disponible à l’adresse : https://www.police.be.ch/fr/start/themen/warnungen/spoofing.html..

Conclusion

L’arnaque aux faux policiers a encore de beaux jours devant elle, car la plupart des gens n’ont pas conscience du caractère sournois de ce type d’escroquerie. Le citoyen lambda considère qu’il faut être naïf pour se faire avoir de la sorte et pense que cela ne pourrait en aucun cas lui arriver. Or, après avoir eu l’opportunité d’écouter l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre un escroc et sa victime, force est de constater que, bien que la victime fasse preuve de réflexion et demande de nombreuses explications, l’arnaque est extrêmement bien rôdée et atteint malheureusement bien trop souvent son but. Afin de se prémunir de tout dommage, raccrocher le téléphone reste le meilleur des réflexes.