Communications au MROS et nouveau délai de 40 jours – Zone grise comportementale pour les compliance officers

Auteur
Catherine Frachebourg, Etudiante du MAS LCE
Thématique
Blanchiment d’argent

Cet article a pour objectif de mettre en lumière les récentes modifications de la loi sur le blanchiment d’argent, en particulier l’introduction du nouvel article 9b LBA en lien avec les communications de soupçons au MROS, qui influencent notablement le comportement des compliance officers et les risques relatifs à ces fonctions.

Droit bancaire ou jungle législative: Un défi rythmant le quotidien des compliance officers

En 2019, Me Jeremy Bacharach écrivait « l’explorateur du droit partant à sa recherche devra s’armer d’une tasse de café bien tassée, d’une aspirine et d’une bonne dose de courage avant de pénétrer dans la jungle législative ».1J. Bacharach, LEFin/LSFin : Produits structurés : ce qui change en 2020 (25 novembre 2019) – (https://cdbf.ch/1094/) – (consulté, le 16.06.2022). Aujourd’hui, « l’explorateur » ne semble pas être allégé ni même poursuivre un long fleuve tranquille. A contrario, les réglementations évoluent et se corsent rendant le quotidien des compliance officers très souvent complexe. Regardons ceci de plus près.

L’infraction de blanchiment d’argent au sens du Code pénal suisse

L’infraction de blanchiment d’argent selon l’article 305bis du Code pénal suisse2Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP; RS 311.0)., ci-après CP, est entrée en vigueur au 1er août 1990. Selon cette disposition, le blanchiment d’argent est défini comme un acte propre à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales provenant d’un crime ou d’un délit fiscal qualifié avec l’intention, c’est-à-dire, conscience et volonté.3« Le compliance officer : bouc émissaire de la lutte contre le blanchiment d’argent » – Mémoire Rina Iseni – Université de Lausanne – Faculté de droit- 13 mai 2022 – p.3 – (consulté, le 12.03.2024) et CR CP II-CASSANI, art. 305bis N 13 – (consulté, le 12.03.2024).

La loi sur le blanchiment d’argent – LBA

En parallèle, la loi sur le blanchiment d’argent, ci-après LBA4Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024., est le volet préventif de la lutte contre le blanchiment d’argent. Entrée en vigueur au 1er avril 1998, elle n’a de cesse d’évoluer. Pour cause, la Suisse a dû améliorer son dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en tenant compte des recommandations émises par le Groupe d’action financière, GAFI, sur le blanchiment de capitaux.5GAFI : (https://www.fatf-gafi.org/fr/countries/detail/Suisse.html) – (consulté, le 12.03.2024). La LBA impose aux intermédiaires financiers des obligations de diligence ainsi que des mesures organisationnelles destinées à empêcher le blanchiment d’argent au sens des articles 3 à 8 LBA. Elle leur impose également de communiquer auprès du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent, ci-après MROS6Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei.html) – (consulté, le 12.03.2024)., les soupçons de blanchiment d’argent au sens des articles 9 à 11 LBA. L’obligation de communiquer au sens de l’article 9 al. 1 lit. a LBA se déclenche notamment lorsque l’intermédiaire financier, ou plus précisément le compliance officer, « sait ou présume sur la base de soupçons fondés »7TPF SK 2014.14 de 18.03.2015 consid.4.5.1.1 – (consulté, le 12.03.2024) que les valeurs patrimoniales impliquées dans la relation d’affaires sont d’origine criminelle.

Rôle du MROS

Le MROS est rattaché auprès de l’Office fédéral de la police (fedpol) et « … joue un rôle de relais et de filtre entre les intermédiaires financiers et les autorités de poursuite pénale. Conformément à la loi sur le blanchiment d’argent, ce service national central reçoit, analyse et, si nécessaire, transmet aux autorités de poursuite pénale les communications de soupçons des intermédiaires financiers relatives au blanchiment d’argent, au financement du terrorisme, aux fonds d’origine criminelle ou aux organisations criminelles ».8Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei.html) – (consulté, le 12.03.2024).

Introduction du nouvel article 9b LBA – 40 jours c’est considérablement long …

L’entrée en vigueur, au 1er janvier 2023, du nouvel article 9b LBA suscite de nombreuses interrogations et laisse place à des incertitudes considérables pour les intermédiaires financiers et plus particulièrement pour les compliance officers en charge d’effectuer les communications auprès du MROS.

Auparavant, le MROS disposait d’un délai de 20 jours pour analyser les communications effectuées par les intermédiaires financiers sous l’angle de l’article 9 al. 1 lit. a LBA. À l’échéance de ce délai, il informait l’intermédiaire financier s’il transmettait les informations communiquées auprès d’une autorité de poursuite pénale ou non. La révision de la LBA a engendré la suppression de ce délai laissant toute latitude au MROS pour effectuer ses analyses. De plus, contrairement à ce qui était en vigueur avant le 1er janvier 2023, le MROS n’informe plus les intermédiaires financiers lorsqu’il ne transmet pas les communications à une autorité de poursuite pénale.

Force est de constater, que ces nouvelles mesures ont pour effet d’engendrer des zones grises comportementales pour les compliance officers. En effet, ces derniers doivent jongler avec l’attente d’un éventuel retour du MROS et la surveillance des transactions post-communications des clients communiqués. Pour mieux comprendre, après qu’une communication ait été effectuée, les comptes du client ne sont pas bloqués immédiatement selon l’article 10 al. 1 LBA9Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024.. Les mouvements de fonds continuent sur les comptes concernés.

Face à cette lacune, le Conseil fédéral a donc décidé d’instaurer un nouveau délai de 40 jours ouvrables au MROS pour transmettre ses décisions.10Instructions pour la saisie et la transmission d’un message via le Message Board du portail web goAML en relation avec une annonce de rupture d’une relation d’affaires selon l’art. 9b de la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA) – (consulté, le 12.03.2024). Passé ce délai, l’établissement bancaire peut prendre les mesures qu’il juge adéquates, parfois, sans savoir si la communication a porté ou non (art. 9b al. 1 LBA).11Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024.

En effet, le nouvel article 9b LBA prévoit que si, dans un délai de 40 jours ouvrables, suivant la communication effectuée auprès du MROS – ce qui est considérablement long -, ce dernier ne notifie pas à l’intermédiaire financier qu’il transmet à une autorité de poursuite pénale les informations communiquées, l’intermédiaire financier peut rompre, à certaines conditions, la relation d’affaires.12Informations concernant le système de traitement des données goAML au MROS (https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei/meldung.html#:~:text=305ter%2C%20al.,9b%20LBA) – (consulté, le 12.03.2024).

Cependant, quel doit être le comportement des compliance officers, respectivement des intermédiaires financiers, durant cette période de battement face aux valeurs patrimoniales toujours déposées dans les comptes mais aussi face aux nouvelles valeurs entrantes ou même sortantes ? Cette question demeure, malheureusement, aujourd’hui encore ouverte et dépend de la pratique de chaque établissement bancaire.

Responsabilité et complexité accrue pour les compliance officers qui doivent se protéger

Pour rappel, la responsabilité du compliance officers en lien avec les communications non effectuées peut être engagée sous l’angle pénal.13VILLARD, Katia Anne. Le compliance officer face au risque pénal découlant du dispositif anti-blanchiment. In : Revue suisse de droit des affaires et du marché financier, vol. 93, no. 2, p. 109-120 – (consulté, le 12.03.2024). Ainsi, selon l’article 9a LBA, l’intermédiaire financier continue d’exécuter les ordres des clients, y compris sur les valeurs patrimoniales ayant fait l’objet de la communication, pendant l’analyse effectuée par le MROS, et cela sous une forme permettant aux autorités de poursuite pénale d’en suivre la trace : il s’agit ici de garantir le paper trail (art. 9a al. 2 LBA).14Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024.

L’article 10a LBA vient, de surcroît, complexifier le processus étant donné qu’il incombe aux intermédiaires financiers l’interdiction d’informer les personnes concernées ou des tiers, de la communication effectuée.15Ibid. Les compliance officers et autres collaborateurs des intermédiaires financiers doivent alors agir avec précaution face au(x) client(s) communiqué(s) afin de ne pas éveiller les soupçons quant à une éventuelle communication en cours.

Mais alors, le compliance officer qui valide les transactions de la relation communiquée, entrantes ou sortantes, se rend-il coupable de blanchiment d’argent au sens de l’art. 305bis CP? N’arrivons-nous pas dans une usine à gaz colossale où, par absence de retours du MROS sur les bonnes pratiques de communication, tout est potentiellement sujet à communication ? Très certainement…

Dans son rapport annuel 2023, le bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS), publie les chiffres suivants :

Figure 1 – Publications du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) – Rapport annuel 2023, p. 21.
Figure 2  – Publications du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) – Rapport annuel 2023, p. 25.

 Sur un total de 11876 communications effectuées en 2023, le MROS a procédé à, uniquement, 866 dénonciations auprès des autorités de poursuite pénale.16Publications du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) – Rapport annuel 2023, p. 21 et 25 – (consulté, le 06.06.2024)

Nonobstant le manque de retour sur les bonnes pratiques de communication tel que cité supra, il est regrettable de constater que ces données reflètent, peut-être ou certainement, un sentiment de crainte et de pression ressenti par les compliance officers qui communiquent certes dans le but de lutter le plus efficacement possible contre le blanchiment d’argent mais potentiellement également dans le but de se protéger eux-mêmes.

Conclusions

Comme l’explique très clairement le professeur et avocat Carlo Lombardini, il est vrai, qu’il est communément admis que la lutte contre le blanchiment d’argent ne génère pas de résultats proportionnels aux coûts qu’elle engendre. Cependant, personne ne se questionne sur les motifs de cet échec et si des approches différentes devraient être considérées.17C. Lombardini : L’évolution de la lutte anti-blanchiment : réflexions critiques inspirées du droit de l’UE : SJ 2023 N°9 – p. 752 – (consulté, le 19.03.2024).

De plus, les exigences face à des règles de plus en plus rigoureuses conduisent des intermédiaires financiers à se voir contraints de refuser certaines catégories de clients ou alors à prélever des frais disproportionnés à cet effet : « C’est le phénomène du derisking qui entraîne le debanking ».18Ibid. Cependant, sans compte en banque, il est compliqué de participer à la vie économique et, c’est à ce moment-là, qu’un réseau économique parallèle pourrait alors se créer…

Ainsi, on l’aura compris, il est important de souligner que les positions qu’occupent les compliance officers sont difficiles et qu’ils sont souvent les boucs émissaires de la lutte contre le blanchiment d’argent. Malgré le fait qu’ils soient au bénéfice d’une protection juridique personnelle, ils doivent faire face à des risques juridiques et à des conflits d’intérêts. Autrement dit, le quotidien complexe des compliance officers s’avère être un exercice de haute voltige, alors que de nombreuses questions d’amélioration demeurent ouvertes… Il serait, peut-être, nécessaire de revoir les exigences, parfois démesurées, infligées à la profession.

  • 1
    J. Bacharach, LEFin/LSFin : Produits structurés : ce qui change en 2020 (25 novembre 2019) – (https://cdbf.ch/1094/) – (consulté, le 16.06.2022).
  • 2
    Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP; RS 311.0).
  • 3
    « Le compliance officer : bouc émissaire de la lutte contre le blanchiment d’argent » – Mémoire Rina Iseni – Université de Lausanne – Faculté de droit- 13 mai 2022 – p.3 – (consulté, le 12.03.2024) et CR CP II-CASSANI, art. 305bis N 13 – (consulté, le 12.03.2024).
  • 4
    Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024.
  • 5
    GAFI : (https://www.fatf-gafi.org/fr/countries/detail/Suisse.html) – (consulté, le 12.03.2024).
  • 6
    Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei.html) – (consulté, le 12.03.2024).
  • 7
    TPF SK 2014.14 de 18.03.2015 consid.4.5.1.1 – (consulté, le 12.03.2024)
  • 8
    Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei.html) – (consulté, le 12.03.2024).
  • 9
    Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024.
  • 10
    Instructions pour la saisie et la transmission d’un message via le Message Board du portail web goAML en relation avec une annonce de rupture d’une relation d’affaires selon l’art. 9b de la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA) – (consulté, le 12.03.2024).
  • 11
    Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024.
  • 12
    Informations concernant le système de traitement des données goAML au MROS (https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei/meldung.html#:~:text=305ter%2C%20al.,9b%20LBA) – (consulté, le 12.03.2024).
  • 13
    VILLARD, Katia Anne. Le compliance officer face au risque pénal découlant du dispositif anti-blanchiment. In : Revue suisse de droit des affaires et du marché financier, vol. 93, no. 2, p. 109-120 – (consulté, le 12.03.2024).
  • 14
    Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA ; RS 955.0) Etat au 1er mars 2024.
  • 15
    Ibid.
  • 16
    Publications du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) – Rapport annuel 2023, p. 21 et 25 – (consulté, le 06.06.2024)
  • 17
    C. Lombardini : L’évolution de la lutte anti-blanchiment : réflexions critiques inspirées du droit de l’UE : SJ 2023 N°9 – p. 752 – (consulté, le 19.03.2024).
  • 18
    Ibid.