Compte-rendu d’un workshop transfrontalier : les programmes de clémence

Auteur
ILCE
Thématique
Autre

Pratiques anticoncurrentielles à l’heure du Big Data : instruments de prévention et de détection face à une problématique transfrontalière. Ça vous semble un titre particulièrement alléchant, mais complexe ? Les étudiant·e·s du MAS en lutte contre la criminalité économique de l’ILCE n’en pensaient pas moins. Le départ pour Besançon était prévu à 8h pour y rencontrer nos partenaires du Master of Business Intelligence, Behavioral and Digital Economics for Effective Management de la Faculté des sciences juridiques, économiques, politiques de gestion de l’Université de Franche-Comté UFC. Grâce à la Communauté du Savoir, une journée emplie de connaissances et d’aventures commençait et a permis de s’évader quelques heures des études et du travail quotidien.

Arrivé·e·s sur place, nous avons été accueilli·e·s chaleureusement par les étudiant·e·s et les professeur·e·s. Croissants, petits pains au chocolat, à la confiture, petits salés, café, thé, divers jus et beaucoup de réjouissance faisaient l’appel. Le ventre plein et le cerveau opérationnel, nous avons débuté l’expérience en laboratoire. Créée dans le but d’évaluer les programmes de clémence et les facteurs d’incitation à la dénonciation des cartels, par la professeure de sciences économiques, membre du laboratoire C.R.E.S.E. et directrice de l’Ecole Doctorale D.G.E.P., Karine Brisset et par le professeur en sciences économiques, membre également du laboratoire C.R.E.S.E. et responsable du Master 2 e-achat de l’UFC, François Cochard, cette expérience permet de comprendre le processus de prise de décision des ententes cartellaires. Plus précisément, les 20 étudiant·e·s des deux institutions y participant ont pu comprendre le procédé de prise de décision quant à la formation d’un cartel sur un marché de deux produits, ainsi que la théorie des jeux appliquée à la détection et à la perturbation de ces cartels grâce à un système d’incitation et de récompense.

Mais qu’est-ce que cela veut bien dire ?

« Pendant l’expérience, chaque personne joue le rôle d’une entreprise pouvant former des cartels avec d’autres entreprises », a répondu un étudiant du MAS en lutte contre la criminalité économique. « Ces autres entreprises étaient jouées en même temps par d’autres étudiant·e·s dans la salle. Après une explication détaillée des consignes et un questionnaire pour s’assurer d’avoir compris les enjeux de l’expérience, me voilà fin prêt pour commencer les négociations. Très motivé par l’expérience et voulant défendre les intérêts financiers de mon entreprise, je propose directement de conclure les deux cartels qui me sont proposés lors de la première passe… et à ma grande déception, les deux autres étudiant·e·s ont refusé les ententes. Ainsi les deux marchés de produits étaient en libre concurrence et il est donc plus difficile d’optimiser ses gains… Comme plus de 20 passes ont été jouées pendant l’expérience, j’ai tout de même pu expérimenter les opportunités et les dangers des cartels, mais également ceux du programme de clémence. En effet, mon constat est que la peur d’être lourdement sanctionné par l’autorité de surveillance ou « l’honnêteté » a souvent favorisé l’utilisation du programme de clémence afin d’éviter toutes sanctions. »

La mise en scène effectuée le 18 novembre par nos étudiant·e·s n’était qu’un exercice. Toutefois, afin de mieux comprendre les objectifs et les résultats émanant de cette expérience, réalisée dans des conditions sérieuses, nous vous renvoyons vers les articles publiés à ce sujet par ses instigateur·trice·s.

Midi avait été animé par un grand buffet de mets et desserts. Dresser une liste exhaustive de toutes les bonnes choses qui y étaient présentées ferait dépasser largement la taille prévue de cet article. Les discussions aux différentes tables battaient leur plein avec quelques verres d’eau pétillante et un ou deux verres de vin. À la fin de la pause, nous nous sommes déplacé·e·s dans une salle en amphithéâtre, pour le programme de l’après-midi : la présentation du dernier article de Karine Brisset et François Cochard, ainsi que trois interventions de spécialistes des autorités de concurrence suisse et française. La recherche expérimentale a d’abord été présentée. Elle compare les effets du programme de clémence existant en Europe (leniency programs) et celui actuellement utilisé en Suisse (leniency +) face à la formation de cartels multi-marchés. Les résultats montrent que l’efficacité des programmes dépend essentiellement du montant de l’amende administrative que l’entreprise pourrait recevoir, représentant donc l’élément le plus incitatif à la dénonciation dans un système d’incitation et de perte.

Olivier Schaller, vice-président de la COMCO et membre du Secrétariat division Services, a expliqué à l’audience quelle est la structure de la Commission de la Concurrence de la Confédération suisse et quelles sont les bases légales de son activité. Il a également explicité les étapes d’une enquête dans ce domaine. Différents outils sont à la disposition des enquêteurs suisses pour détecter/perturber et supprimer des cartels anticoncurrentiels, comme les sanctions directes, les perquisitions et les saisies de pièces à conviction et les programmes de clémence. Ce dernier élément, qui est de notre intérêt, a été détaillé dans la perspective de l’expérience du matin.

Philippe Sulger, économiste à la COMCO et membre du Secrétariat division Infrastructures, a présenté les diverses méthodes de détection proactives. Deux premières approches sont basées sur les statistiques descriptives, comme le coefficient de variation et la distance relative. Ces outils fonctionnent bien pour ce qui est de la collusion totale des entreprises, donc en cas d’entente complète sur tous les aspects composant les entreprises (produits, prix, services annexes, nombre de points de vente, innovation de produits, etc.). Toutefois, en pratique, ce phénomène n’est de loin pas fréquent : les entreprises appliquent plutôt un modèle de collusion partielle ou semi-collusion, donc une entente partielle sur les aspects énumérés. Les outils de détection présentés sont moins efficaces pour détecter la collusion partielle, c’est pourquoi la COMCO utilise dorénavant une méthode composée de plusieurs étapes combinant une approche statistique et géographique.

Finalement, Anne Krenzer, conseillère en chef des investigations de l’Autorité de la Concurrence française et officière de la liaison européenne, nous relate le cadre d’application français des programmes de clémence. Les chiffres des secteurs d’enquête sont présentés, en passant également par la perception de la mise en place des programmes de la part de l’autorité et des solliciants·e·s. Finalement, les récentes évolutions légales et juridiques sont expliquées.

Divers témoignages d’étudiant·e·s relatent l’intérêt pour cette thématique :

« Les présentations étaient très claires et intéressantes. J’ai apprécié pouvoir comprendre de manière concrète en quoi fonctionnaient les cartels, leur impact, leur présence sur les marchés suisses/français et les moyens de lutte des différents États. »

« Les interventions de la COMCO étaient très captivantes, précises et pointues. L’intervention en ligne devait être bien aussi mais l’acoustique n’a pas facilité la compréhension. Evidemment, sans quelques hics techniques, la journée ne serait pas si mémorable. »

« Ces différentes présentations ont suscité plusieurs échanges entre les experts et les étudiants des différents masters. Cet après-midi a été très fructueux en connaissance, notamment par la comparaison entre les moyens et outils mis en place dans chaque pays. »

Le mot de la fin des présentations invitait toutes les personnes participantes à un apéritif dînatoire. Échanges sur les programmes d’études, les formations, les carrières professionnelles, ainsi que des contacts ont réuni·e·s les étudiant·e·s, les professeur·e·s et les expert·e·s autour d’un nouveau buffet (encore miam) et de verres entrechoqués. Ernest, le conducteur du minibus, nous a ramené à bon port à l’Espace de l’Europe 21, où nous avons pensé à la Communauté du Savoir en voyant ses bureaux. La réalisation de cette journée « Emergence de collaborations transfrontalières France-Suisse », riche en émotions, n’aurait pas été possible sans sa participatio