Digitalisation des communications de soupçons

Auteur
Etudiant du MAS LCE
Thématique
Autre

Avant le 1er janvier 2020, les communications de soupçons des intermédiaires financiers étaient envoyées par fax ou par courrier au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent de la Confédération (MROS) qui est chargé, conformément à la loi sur le blanchiment, de recevoir, centraliser, analyser et transmettre aux différentes autorités pénales les communications de soupçons 1Office fédéral de la police fedpol. goAML : Foire aux questions (FAQ) [en ligne]. [Consulté le 14.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fedpol.admin.ch/dam/fedpol/fr/data/kriminalitaet/geldwaescherei/aml/faq-f.pdf.download.pdf/faq-f.pdf 2Office fédéral de la police fedpol. Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent. Rapport annuel 2020 [en ligne]. [Consulté le 14.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei/jb.html . Tout un chacun s’accordera à dire qu’il s’agissait d’une pratique qui peut paraître aujourd’hui surprenante, voire très archaïque, en regard de la transformation numérique des différents secteurs de l’économie. Un virage vers la digitalisation paraît évident et nécessaire, si ce n’est obligatoire pour lutter de manière efficiente contre la criminalité économique.

Introduit par le MROS en janvier 2020, le premier système en Suisse de communication des données par voie électronique est nommé goAML. Il ne s’agit pas d’un logiciel développé intra-muros, mais par l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC) pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme 3UNITED NATIONS. Office on Drugs and Crime [en ligne]. [Consulté le 17.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.unodc.org/ . Ce dernier a été spécialement conçu pour les cellules de renseignement financier (CRF), dont fait partie le MROS. Le système est modulaire pour s’adapter aux spécificités de ces dernières (par exemple : taille, volume de données) 4INTERNATIONAL MONEY LAUNDERING INFORMATION NETWORK (IMOLIN). goAML [en ligne]. [Consulté le 17.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.imolin.org/imolin/fr/goAML-goCASE.html .

L’année 2020 a donc constitué un changement radical pour le MROS, mais aussi, sans l’oublier, pour les intermédiaires financiers, qui ont dû s’adapter pour répondre technologiquement à ce nouveau format de communication. Par exemple, toutes les transactions suspectes qu’un intermédiaire financier veut transmettre doivent être soumises au format électronique. Chaque donnée doit dès lors être saisie à choix manuellement ou de manière automatique dans goAML via un fichier XML (Extensible Markup Language), qui sont des fichiers utilisant les balises pour structurer les données 5WIKIPEDIA L’encyclopédie libre. Extensible Markup Language [en ligne, Version 6 avril 2021 à 10:43]. [Consulté le 17.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Extensible_Markup_Language 6Ref. 1 . L’intermédiaire financier désirant automatiser la saisie des données (2 méthodes à choix : automatique ou semi-automatique) 7Ref. 2 a donc dû mettre en place une solution permettant de transposer les données de ses systèmes en format XML, ce qui peut s’avérer très difficile et coûteux ,si on considère qu’il peut s’agir par exemple de transactions ayant été effectuées 10 ans auparavant, voire plus. Rappelons que le secteur bancaire s’est consolidé depuis une douzaine d’années à la suite de la crise financière de 2008 et que le nombre d’établissements a reculé d’un quart, à 250 banques 8BILAN. Le patron d’UBS table sur une consolidation parmi les banques [en ligne]. [Consulté le 25.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.bilan.ch/finance/le-patron-dubs-table-sur-une-consolidation-parmi-les-banques .

Imaginons, dans ce cadre, le cas d’une banque X ayant migré plusieurs fois ses données à la suite d’un rachat (fusion-acquisition), puis à la migration vers un nouveau système bancaire qui est à la tendance dans le secteur 9M&BD Consulting. La montée du digital, une nécessité pour le secteur bancaire. [en ligne]. [Consulté le 25.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.mbdconsulting.ch/publications/montee-du-digital-necessaire-secteur-bancaire 10ICTjournal. Le changement de système bancaire génère une hausse des coûts de l’IT [en ligne]. [Consulté le 25.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.ictjournal.ch/news/2014-01-31/le-changement-de-systeme-bancaire-genere-une-hausse-des-couts-de-lit . Il peut ainsi s’avérer extrêmement difficile pour un intermédiaire financier de fournir rapidement une solution stable en termes d’intégrité des données et permettant la saisie de toutes les transactions de manière automatique. On imagine le calvaire des équipes au sein de ces établissements qui peuvent se retrouver à devoir saisir manuellement, faute de solutions adéquates et avec le risque d’erreur que cela comporte, plusieurs dizaines, voire jusqu’à 100 transactions et toutes les données qu’elles comportent, dans l’outil goAML, dans les délais impartis par le régulateur. Certains établissements se verront peut-être même dans l’incapacité de faire face à leurs obligations réglementaires. Globalement la situation a été inversée par rapport à avant 2020, où les analystes du MROS se trouvaient à saisir manuellement les données reçues des intermédiaires financiers, submergés par la quantité de documents papier et perdant, dans la volée, une multitude de données non-informatisées, mais aussi leur rôle d’analyste 1120 Minutes. La montée du digital, une nécessité pour le secteur bancaire [en ligne]. [Consulté le 25.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.20min.ch/fr/story/lutte-contre-le-blanchiment-la-suisse-est-encore-au-xixe-siecle-118120419150 .

En parallèle, il est nécessaire de mettre en avant l’augmentation du nombre de communications de soupçons des intermédiaires financiers. Dans son rapport annuel de 2015, le MROS indiquait 2367 communications de soupçons reçues selon l’Art 9 LBA 12Fedlex. Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme [en ligne]. [Consulté le 13.10.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1998/892_892_892/fr et Art 305ter al. 2 CP 13Fedlex. Code pénal suisse [en ligne]. [Consulté le 13.10.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/54/757_781_799/fr . En 2019 le chiffre s’élevait à 7705 et en 2020 à 9601 (estimation à la suite d’un changement de méthode pour dénombrer les communications reçues) 14Ref. 2 15Office fédéral de la police fedpol. RAPPORT ANNUEL DU BUREAU DE COMMUNICATION EN MATIÈRE DE BLANCHIMENT D’ARGENT MROS. Rapport 2015 [en ligne]. [Consulté le 25.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei/jb.html . Une hausse qui s’explique notamment par 1000 signalements liés aux crédits transitoires Covid-19, une augmentation générale de la cybercriminalité liée aux conséquences du Covid-19 offrant aux criminels de nouvelles cibles, mais aussi, peut-être, par une propension des intermédiaires financiers à communiquer plus facilement lorsqu’ils ont un doute pour se couvrir des risques 16L’AGEFI. La criminalité financière fait flamber les coûts de la conformité [en ligne]. [Consulté le 25.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.agefi.fr/banque-assurance/actualites/quotidien/20210427/criminalite-financiere-fait-flamber-couts-320127 . Néanmoins, cette hausse n’est pas due à une augmentation des grandes affaires de blanchiment, qui ont un impact sur la réputation de la place financière, mais plus à des cas de moindre importance liés à la petite criminalité de type arnaques sur les sites de petites annonces, money mules, arnaques aux sentiments, escroqueries de type Zairean connection, etc.

Nous entrons peut-être dans une tendance à rejoindre, ou du moins à tendre, vers ce qui se fait à l’étranger. En l’occurrence, il s’agit là de communications quasiment automatiques aux autorités, mais avec la conséquence de noyer le système par des déclarations moins judicieuses, sans analyse pertinente, et portant sur des transactions non pas suspectes, mais considérées anormales par rapport à un comportement déterminé 17LE TEMPS. Pour les banques, le délicat exercice de la communication de soupçons [en ligne]. [Consulté le 25.07.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/economie/banques-delicat-exercice-communication-soupcons .

En conclusion, une augmentation constante des communications de soupçons des intermédiaires financiers va inévitablement poser la question des coûts. Actuellement, l’intermédiaire financier doit produire, dans les grandes lignes, le même travail, que ce soit pour une affaire de blanchiment à plusieurs millions, une escroquerie portant sur un faible montant ou, parfois, des coûts exorbitants en regard de ce que rapporte annuellement la relation d’affaires et mobilisant en même temps des ressources humaines, qui pourraient être utilisées à meilleur escient dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Une solution devra être trouvée. Peut-être passera-t-elle par une ségrégation permettant des communications automatiques des cas bagatelles souvent liés aux clients de la banque de détail. Peut-être saura-t-elle sauvegarder la qualité des analyses poussées pour les cas complexes de blanchiment, plus particulièrement liés aux clients de private banking, des grandes entreprises et du négoce de matières premières. L’avenir nous le dira.