Fraude aux prêts COVID-19 – nouvelle forme d’escroquerie version 2020 ?

Auteur
Etudiante du CAS
Thématique
Fraude

30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare que l’épidémie de COVID-19 constitue une urgence de santé publique de portée internationale. Dès la fin février 2020, la Suisse annonçait l’apparition des premiers cas de COVID-19 sur son territoire 1Buschini, L. (2020). Rétrospective 19-20 – Et soudain, le Covid-19 a chamboulé notre vie quotidienne. 24 heures. Publié le 13.09.2021. Disponible à l’adresse : https://www.24heures.ch/et-soudain-le-covid-19-a-chamboule-notre-vie-quotidienne-826246563119 . Les premières mesures devant permettre d’endiguer l’épidémie sont prises et à la mi-mars 2020, suivant l’exemple des pays européens qui l’entourent, la Suisse déclarait l’état d’urgence. Le pays est confiné, les écoles sont fermées de même que les commerces non essentiels 2Ref. 1 .

Dans la foulée, le 25 mars 2020, le Conseil fédéral adopte l’Ordonnance sur l’octroi des crédits et de cautionnement solidaire à la suite du coronavirus (RS 951.261 ; Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19). Le but était de soutenir l’économie suisse, notamment les petits commerces et les petites entreprises, qui pouvaient se trouver rapidement en difficulté à cause de leur fermeture contrainte ou de l’arrêt net de certaines prestations 3Message du 18 septembre 2020 concernant la loi sur les crédits garantis par un cautionnement solidaire à la suite du coronavirus, FF 2020 FF 2020, p. 8170 .

Octroi des prêts

Le système mis en place se voulait simple et rapide afin de parvenir au but visé par la Confédération. La personne en raison individuelle ou le représentant de la société qui souhaitait obtenir un prêt, remboursable à 5 ans 4Art. 5 de l’Ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19, OCaS-COVID-19 ; RS : 951.261) , devait prendre contact avec une banque ou Postfinance SA et remplir puis signer un formulaire ad hoc 5Annexe 2 de l’Ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19, OCaS-COVID-19 ; RS : 951.261) . Dans ce formulaire devaient être notés les coordonnées générales du demandeur et le chiffre d’affaires de son business de l’année précédente (puisque le prêt pouvait être de 10 % au maximum de ce montant).

L’octroi d’un prêt était notamment réputé exclu pour les entreprises ayant un très gros chiffre d’affaires (supérieur à CHF 500’000’000.-, selon l’art. 6 de l’Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19). Le formulaire ad hoc précisait encore les conditions d’octroi et d’utilisation du crédit, notamment qu’un seul crédit COVID-19 pouvait être octroyé par entreprise et qu’au moment de la demande, celle-ci ne devait ni être en faillite ni en procédure concordataire ou de liquidation.

A ce stade, aucun justificatif n’était requis par la banque. Cependant, la signature du formulaire engageait le demandeur à respecter les conditions de l’octroi du prêt et de son utilisation. Naturellement, ces conditions englobent la véracité des informations transmises. Par la suite, en quelques jours, voire en quelques heures selon les cas, le crédit était octroyé au demandeur.

Type de fraudes et qualification juridique

Sur l’octroi même du prêt obtenu illégalement

  • Certaines sociétés ont fait des demandes de prêts à plusieurs banques ; dans l’urgence, et sans coordination générale entre les établissements bancaires, les prêts ont parfois pu être accordés sur ces bases ;
  • Certaines sociétés ont déclaré un faux chiffre d’affaires (par exemple la société n’avait pas encore eu d’activité ou elle avait surévalué le montant de son chiffre d’affaires) ; dans l’urgence et sans vérification, le prêt a parfois pu être accordé sur cette base.
  • Certains demandeurs ont dissimulé l’état de leur société, qui pouvait par exemple se trouver d’ores et déjà dans un processus de faillite. Dans l’urgence et sans vérification, le prêt a malgré tout pu être accordé.

Sur l’utilisation illégale du prêt obtenu légalement

  • Certains demandeurs ont retiré en cash, rapidement, le ou les prêts obtenus. Ils les ont par la suite utilisés à d’autres fins que celles prévues par le cadre légal (par exemple pour des besoins personnels, en transférant une partie à l’étranger, à leurs proches, etc.).
  • Certains demandeurs ont utilisé le ou les prêts afin de renflouer les caisses de leur société, mais pas stricto sensu de la façon dont le prévoyait l’Ordonnance en question. Par exemple, l’argent a été utilisé pour rembourser d’anciens prêts accordés à la société, payer les salaires des employés, etc. Le cadre de l’utilisation de l’argent n’ayant, vu l’urgence, pas forcément été explicité dans la demande ou compris par les différents intervenants, le prêt a été accordé.

Les infractions à retenir s’agissant des complexes de fait précités sont l’escroquerie (art. 146 CP), notamment si le requérant savait dès le départ qu’il n’avait pas droit à un crédit et/ou qu’il n’allait pas l’utiliser conformément au but prévu par la loi. Par ailleurs, l’infraction de faux dans les titres (art. 251 CP) est à envisager si le preneur de crédit a indiqué de fausses informations dans le formulaire précité, au vu de sa signature sur ce document, qui peut être considérée comme un titre, et qui engage sa responsabilité s’agissant de la véracité des données transmises.

A noter encore que l’art. 23 de l’Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19 prévoit une disposition pénale subsidiaire aux infractions du Code pénal, punissant d’une amende de CHF 100’000.- au plus la personne violant l’Ordonnance en question dans le cadre de l’octroi d’un crédit COVID-19.

Les fraudes démasquées

A la suite de l’octroi en urgence des prêts, les banques ont effectué les vérifications nécessaires et ont découvert des cas où, par exemple, des éléments du dossier de leur client ne concordaient pas avec leurs déclarations, ou des cas avec des mouvements de compte inusuels. Elles ont par la suite systématiquement dénoncé leurs soupçons au bureau de communication en matière de blanchiment (MROS), qui, après sa propre investigation, a transmis aux autorités pénales cantonales les cas lui semblant pénaux.

A Genève, le premier procès pénal sur une affaire COVID-19 s’est tenu ce printemps, et a donné lieu à un jugement du Tribunal correctionnel, contesté en appel 6RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE & POUVOIR JUDICIAIRE. (2021). AARP/169/2021 du 18.06.2021 sur JTCO/19/2021 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS. Justice.ge.ch. Disponible à l’adresse : https://justice.ge.ch/apps/decis/fr/parp/show/2730672?doc= qui vient d’être rendu et publié sur le site internet de la jurisprudence cantonale. Le cas est celui de l’associé gérant d’une Sàrl, qui a requis l’octroi d’un prêt en mentant sur le chiffre d’affaires de l’entreprise, ainsi que sur le nombre d’employés, et ceci a deux reprises. En effet, il a utilisé le même modus operandi pour obtenir un prêt COVID-19 de deux banques différentes, le premier de CHF 360’000 et le second de CHF 150’000 et ceci à un jour d’intervalle. Il a ensuite utilisé les montants pour ses dettes et besoins personnels, ce qui pour lui était clair dès le début. L’accusé, qui avait déjà des antécédents pénaux, a été coupable d’escroquerie et de faux dans les titres et est condamné à une peine privative de liberté de 3 ans, sans sursis à raison de 9 mois.

Les statistiques des dénonciations des fraudes aux prêts COVID-19 et leur traitement sont publics, et disponibles sur le site de la police fédérale 7Office fédéral de la police (fedpol). (2021). Crédits COVID-19. fedpol.admin.ch. Disponible à l’adresse : https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei/ueberbrueckungskredite.html . D’après ces chiffres, le MROS a reçu, jusqu’à aujourd’hui, 1512 communications de la part des banques pour des crédits litigieux avoisinant au total la somme de CHF 199’920’293. A son tour, le MROS a dénoncé 1227 cas aux autorités de poursuite pénale en vertu de l’art. 23 al. 4 LBA. Il a donc considéré que 285 dénonciations n’étaient pas fondées.

Il convient de se rappeler, en lien avec ces statistiques, que les prêts COVID-19 pouvaient être demandés, selon l’art. 11 de l’Ordonnance en question, dès son entrée en vigueur soit le 25 mars 2020 et jusqu’au 31 juillet 2021 ; la période pénale visée est donc relativement courte, alors que le montant total des prêts soumis à question est important.

A noter encore qu’à Genève par exemple, le Cautionnement Romand, société coopérative ayant garanti les crédits COVID-19 auprès des banques 8Annexe 3 de l’Ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19, OCaS-COVID-19 ; RS : 951.261) , s’est constitué systématiquement partie plaignante dans le cadre des procédures pénales instruites.

Par ailleurs, des plaintes, voire dénonciations anonymes, de particuliers considérants l’octroi d’un crédit COVID-19 comme problématique ne sont pas à exclure.

Conclusion

Si la majeure partie des bénéficiaires des prêts COVID-19 étaient réellement en difficulté et les ont obtenus et utilisés de manière légale, un petit pourcentage y a vu une opportunité d’obtenir de l’argent facile, sur fond de crise mondiale. Les banques s’en sont toutefois aperçues et ont dénoncé ces cas, qui, ne resteront assurément pas impunis.

On peut toutefois se demander si un délai de quelques jours supplémentaires avant l’octroi d’un prêt COVID-19, permettant à la banque de faire les vérifications idoines, et une coordination de l’octroi des prêts par un organisme centralisé aurait permis de resserrer les mailles du filet à l’encontre de ceux qui entendaient abuser du système. Il faut toutefois probablement se replacer dans le contexte inédit et urgent qui était celui connu en mars 2020, et considérer qu’il est toujours facile d’opposer des critiques après coup.

  • 1
    Buschini, L. (2020). Rétrospective 19-20 – Et soudain, le Covid-19 a chamboulé notre vie quotidienne. 24 heures. Publié le 13.09.2021. Disponible à l’adresse : https://www.24heures.ch/et-soudain-le-covid-19-a-chamboule-notre-vie-quotidienne-826246563119
  • 2
    Ref. 1
  • 3
    Message du 18 septembre 2020 concernant la loi sur les crédits garantis par un cautionnement solidaire à la suite du coronavirus, FF 2020 FF 2020, p. 8170
  • 4
    Art. 5 de l’Ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19, OCaS-COVID-19 ; RS : 951.261)
  • 5
    Annexe 2 de l’Ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19, OCaS-COVID-19 ; RS : 951.261)
  • 6
    RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE & POUVOIR JUDICIAIRE. (2021). AARP/169/2021 du 18.06.2021 sur JTCO/19/2021 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS. Justice.ge.ch. Disponible à l’adresse : https://justice.ge.ch/apps/decis/fr/parp/show/2730672?doc=
  • 7
    Office fédéral de la police (fedpol). (2021). Crédits COVID-19. fedpol.admin.ch. Disponible à l’adresse : https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei/ueberbrueckungskredite.html
  • 8
    Annexe 3 de l’Ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19, OCaS-COVID-19 ; RS : 951.261)