Fraudes liées aux activités des professionnels de santé

Auteur
Cloé Chevillard, étudiante BSc in Business Law
Thématique
Fraude

Dans ce document nous allons développer et analyser les fraudes liées aux activités des professionnels de santé ainsi que les mesures et sanctions mises en place.

Ce sujet n’est pas une évidence pour tout le monde, car dans la plupart des pays, les professionnels de la santé jouissent du statut culturel de guérisseurs fiables, au-dessus de tout soupçon. L’idée qu’un cardiologue, par exemple, puisse profiter financièrement du système de santé est certes déplaisante, mais s’avère bien réelle.

Avant de commencer, revoyons ce que signifie « une fraude » et qui est inclus dans le terme « professionnels de santé ». Selon le dictionnaire Larousse, une fraude est « un acte malhonnête fait dans l’intention de tromper en contrevenant à la loi ou aux règlements ». Selon la Loi fédérale sur les professions de la santé (LPSan) : « sont considérées comme exerçant une profession de la santé au sens de la présente loi : les infirmiers; les physiothérapeutes; les ergothérapeutes; les sages-femmes; les diététiciens; les optométristes; les ostéopathes. » Cependant, les fraudes s’étendent sur bien plus de secteurs liés au domaine médical non listé par la LPSan tel que le transport sanitaire ou encore les métiers dit du bien-être.

Nous allons essayer de comprendre qui est trompé, et quelles lois ou réglementations se voient violées.

Techniques de fraudes

Les fraudes majoritairement commises par les professionnels de santé sont les prestations abusives, en effet certains n’hésitent pas à facturer par exemple plus de 24 heures de consultation en un seul jour ou 15 heures de travail 365 jours dans l’année en déjouant les lois de la temporalité et de la physique. Elles peuvent aussi se traduire par des coûts exorbitants pour des prestations en réalité moins coûteuses ou par des traitements médicaux inutiles.

Des abus de la sorte, les assurances maladie privées, mais surtout obligatoires, en compte un grand nombre, car ce sont la plupart du temps elles les débitrices de ces pratiques frauduleuses. La tromperie touche donc principalement les assurances et beaucoup moins les patients directement, les coûts à déplorer sont à minima une dizaine de millions de francs de dépenses chaque année (plus de 12 millions de francs en 2018 selon la caisse maladie CSS) et ça n’est que la partie visible de l’iceberg.

Mesures mises en place

Comment cela est-il possible ?

L’indifférence des praticiens étant un premier problème, le deuxième est bien le contrôle des factures de ces prestations fournies.

Pour les assurances obligatoires une fois la consultation terminée, la facture leur est envoyée afin d’effectuer le paiement, les assureurs sont seulement tenus de contrôler le caractère économique des prestations ainsi que la facturation. Depuis 2018, une copie est également envoyée au patient à titre informatif, ce qui peut dissuader le professionnel de commettre un abus.

L’organisme responsable de la surveillance des facturations des médecins, Santésuisse, essaye de repérer tous les praticiens dont les coûts par patient dépassent de 30% la moyenne au sein d’une même spécialité et d’un même canton.  Si c’est le cas, le professionnel doit justifier ces coûts par exemple en démontrant des prises en charge complexes et particulièrement coûteuses. Pour ceux qui n’arriveraient pas à défendre ces sommes, ils sont invités à corriger leur pratique l’année suivante et s’ils ne le font pas, un simple remboursement du trop-perçu leur est demandé selon l’article 56 al.2 de la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal), ce qui ne représente pas du tout une sanction, mais une égalisation du patrimoine financier.

Selon la Directrice de Santésuisse, Madame Verena Nold, les assureurs maladie aimeraient faire plus, mais ont les mains liées, n’ayant le droit que de contrôler l’exactitude de la facturation et l’efficience des prestations, mais pas l’efficacité et l’adéquation des traitements.

Plusieurs mesures sont édictées dans la LAMal afin d’augmenter la surveillance, notamment prévoir des conventions tarifaires et/ou de qualité entre les assureurs et les fournisseurs de prestations comme à l’art. 56 al. 5 LAMal afin de garantir le caractère économique des prestations. Suivi de l’art. 58a al. 2 let. f LAMal qui précise les sanctions en cas de non-respect d’une convention de qualité.

Sanctions mises en place

Enfin nous retrouvons à l’art. 59 LAMal les sanctions pour manquements aux exigences prévues dans la loi ou dans une convention avec notamment la possibilité d’exclure un fournisseur de prestations de toute activité à la charge de l’assurance obligatoire des soins en cas de récidive à la lettre f. Il est en outre possible d’intenter une procédure pénale contre des fournisseurs de prestations qui établissent intentionnellement des factures erronées grâce à l’art. 146 du Code pénal suisse (CP).

« Celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l’aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire ».

Ici l’auteur serait le professionnel de santé avec comme comportement incriminé : induire en erreur une personne (l’assureur) par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais. La notion d’astuce est l’élément constitutif de l’infraction qui rend l’application de cet article compliqué. Toute la question est de savoir si la tromperie est astucieuse, c’est-à-dire qu’elle doit être difficilement perceptible, que la dupe (l’assureur) devrait, en faisant usage de précautions de base, ne pas se laisser tromper.

Dans le cas des fraudes liées aux activités des professionnels de santé, on peut donc se demander si les prestations facturées de plus de 24 heures pour une seule journée ou de 15 heures par jour durant toute l’année, pour reprendre mes exemples, sont bien imperceptibles et difficiles à détecter… Il va de soi que l’art. 146 CP ne peut pas s’appliquer ici, car la condition de la tromperie astucieuse n’est pas remplie, toute personne sensée se rend bien compte que les journées de plus de 24 heures n’existent simplement pas et que 15 heures de travail tous les jours de l’année relèvent d’une rare prouesse physique.

Potentielles lacunes juridiques

Tout d’abord, la loi devrait exiger des assureurs un contrôle beaucoup plus précis et minutieux en les autorisant à examiner l’efficacité et l’adéquation des traitements, pour ce faire, l’avis d’experts médicaux est indispensable.

Par la suite, les sanctions doivent être réellement dissuasives, par exemple, en plus de la restitution de l’entièreté de la somme, le professionnel devrait être puni d’une peine pécuniaire proportionnelle au montant de la fraude.

Avis personnel

Je tiens à préciser que la grande majorité des professionnels de la santé ne fraudent pas et effectuent leur travail de manière consciencieuse et dans les intérêts de leurs patients, n’empêche que la minorité restante coûte énormément à la société chaque année. Il faut aussi se souvenir que ces sommes indûment versées proviennent indirectement de nous tous, les contribuables. Nous travaillons tous pour un salaire qui nous permet de payer ces primes d’assurance, le fait que des professionnels utilisent leur statut de travailleur dans la santé pour toucher cet argent illégitime est de toute évidence injuste et immoral.

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