La lutte en Suisse contre le blanchiment d’argent provenant de l’étranger

Auteur
Gega Endri, étudiant du CAS IF
Thématique
Blanchiment d’argent

Cette contribution traite de la lutte contre le blanchiment d’argent provenant de l’étranger par des clients étrangers. Travaillant dans la poursuite pénale depuis de nombreuses années, je tente d’exposer, brièvement et sans rentrer dans de nombreux détails techniques, un des maillons de cette lutte, soit la procédure pénale.

Les efforts de la Suisse en matière de lutte contre le blanchiment d’argent

Depuis de nombreuses années, malgré l’image que l’on peut parfois avoir depuis l’étranger, la Suisse participe activement à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il s’agit d’un sujet important qui a souvent occupé non seulement les pouvoirs politiques dans notre pays, mais également la presse tant locale, qu’internationale. En effet, par le passé, profitant du secret bancaire, de nombreuses personnes pouvaient ouvrir des comptes en Suisse afin d’y cacher de l’argent provenant d’infractions dans leur propre pays.

Or, malgré le secret bancaire, la Suisse s’est toujours efforcée d’éviter de devenir une plaque tournante du blanchiment d’argent car cela pouvait clairement nuire à la réputation de sa place financière. Après la fin du secret bancaire, la réputation de la place financière est devenue la principale préoccupation des acteurs concernés lesquels ont très vite voulu mettre en avant leurs compétences et leur savoir-faire dans le domaine bancaire.

La Suisse s’est ainsi associée au développement de normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme et en assure la mise en œuvre. Elle s’est dotée à cet égard d’une législation comptant parmi les plus solides au monde. C’est ainsi, qu’en plus de participer au Groupe d’action financière (le GAFI), elle a également ratifié plusieurs conventions internationales 1Lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. (2021). Consulté à l’adresse https://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/politique-exterieure/secteur-financier-economie-nationale/lutte-crime-organise.html .

La notion de blanchiment d’argent

Le législateur suisse a défini le blanchiment d’argent comme « un procédé qui permet de dissimuler l’existence, la source illicite ou l’emploi illicite de valeurs patrimoniales dans le but de faire apparaître ces valeurs comme provenant d’une activité licite » 2Feuille fédérale FF 1989 961ss .

Aux termes de l’art. 305bis du Code pénal (RS 311.0) 3RS 311.0—Code pénal suisse du 21 décembre 1937. (2021). Consulté à l’adresse https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/54/757_781_799/fr , « celui qui aura commis un acte propre à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu’elles provenaient d’un crime ou d’un délit fiscal qualifié, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire » (alinéa 1).

Cette disposition légale, poursuit plusieurs buts : en premier lieu, réprimer tout acte propre à soustraire des valeurs patrimoniales, au sens large, qui pourraient provenir d’un crime (tous les avantages pécuniaires imaginables, notamment des choses mobilières, immobilières, de l’argent, etc.). De plus, elle protège les intérêts patrimoniaux des personnes lésées par le crime. Enfin, elle protège l’administration de la justice étrangère. En effet, l’alinéa 3 prévoit que le délinquant est également punissable lorsque l’infraction principale a été commise à l’étranger, dans le cas où elle est aussi punissable dans cet état 4Code pénal, Petit commentaire, ad. art. 305bis, n° 3 à 6 et les références citées .

S’agissant des éléments constitutifs objectifs, cette base légale requiert 1) des valeurs patrimoniales provenant d’un crime et 2) un acte propre à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation des valeurs patrimoniales. Quant à l’élément constitutif subjectif, il s’agit d’une infraction intentionnelle.

Dans l’artillerie légale à disposition pour combattre le blanchiment d’argent, la Suisse dispose également d’autres lois qui complètent l’art. 305bis CP soit : la Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier (RS 955.0 Loi sur le blanchiment d’argent, LBA) 5RS 955.0—Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Loi sur le blanchiment d’argent, LBA). (2021). Consulté à l’adresse https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1998/892_892_892/fr ; l’Ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent OBA-FINMA (RS 955.033.0) 6RS 955.033.0—Ordonnance du 3 juin 2015 de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier (Ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent, OBA-FINMA). (2021). Consulté à l’adresse https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2015/390/fr ; l’Ordonnance du 18 novembre 2009 sur l’activité d’intermédiaire financier exercée à titre professionnel (RS 955.071 OIF) 7RS 955.071 – Ordonnance du 18 janvier 2009 sur sur l’activité d’intermédiaire financier exercée à titre professionnel (OIF). (s. d.). Consulté à l’adresse: https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2009/782/fr ainsi que la Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne 8(RS 952.0 LB) RS 952.0—Loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d’épargne (Loi sur les banques, LB). (2021). Consulté 25 août 2021, à l’adresse https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/51/117_121_129/fr . Enfin, ce dispositif est complété par la Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB 08) 9Association suisse des banquiers. (2008). Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB 08) .

Le système de lutte mis en place avec un focus sur la procédure pénale

L’année 1998, a vu naître le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS). Cette entité est rattachée à l’Office fédéral de la police (fedpol) et joue un rôle de relais et de filtre entre les intermédiaires financiers et les autorités de poursuite pénale 10Police Fédérale (2020). Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS). Consulté à l’adresse https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei.html .

Conformément à l’art. 9 LBA 11Ref. 5 , les intermédiaires financiers ont l’obligation d’informer immédiatement le MROS en cas de soupçon de blanchiment d’argent. Concrètement, cela veut dire par exemple, que si une banque, après avoir entrepris des démarches auprès de son client pour clarifier une ou plusieurs transactions qui lui paraissent douteuses (peu importe le type de transaction), estime que les obligations en la matière ne sont pas satisfaites, doit dénoncer très rapidement son client auprès du MROS. Dans ce cas, la banque n’aurait aucun autre choix, même si le client en question détient des comptes dans ses livres depuis de nombreuses années et y a déposé plusieurs millions d’avoirs.

Une fois cette annonce faite, le MROS débute alors son propre travail d’analyse avec les moyens de recherche qu’il a à sa disposition. Au terme de cette analyse, s’il estime que les soupçons sont fondés, il transmet le dossier au Ministère public du canton concerné ou au Ministère public de la Confédération, s’il s’agit d’une affaire ressortant de la compétence de ce dernier.

Avant d’ouvrir un dossier pénal, le Ministère public procède également à une analyse des informations et pièces reçues. Cette analyse doit être effectuée rapidement par l’autorité pénale, puisqu’elle ne dispose que d’un délai de cinq jours maximum pour confirmer le blocage des avoirs de la personne concernée. En effet, sitôt le dossier transféré au Ministère public par le MROS, ce dernier en informe également la banque qui procède alors au blocage du/des compte/s pour une durée de cinq jours (art. 10 de la LBA).

Clients étrangers et des fonds provenant de l’étranger

Le système mentionné supra et mis en place, est valable non seulement pour tous les clients et flux financiers suisses, mais également pour ceux qui ne résident pas en Suisse. Ce système permet justement d’éviter que les banques suisses soient utilisées comme des « laundromat ».

Dans la pratique, une fois qu’une procédure pénale a été ouverte et que le ou les comptes concernés ont été séquestrés, le Ministère public sollicitera auprès de la banque toute la documentation en lien avec l’ouverture du compte afin de déterminer l’ayant-droit économique du compte. Il demandera également le détail des transactions qui feront l’objet d’analyses détaillées par des analystes financiers, dans le but de construire un schéma des flux de fonds. Cette étape est très importante car elle permet de déterminer quels ont été le ou les actes qui auraient entravé l’identification de l’origine des avoirs.

Le Ministère public procédera ensuite à des auditions de la personne directement intéressée, qui aura le statut de prévenue dans la procédure, mais également de toutes autres personnes susceptibles d’apporter des informations utiles à l’enquête (proches ou employés de la banque).

Lorsque l’enquête porte sur des éléments qui seraient intervenus en Suisse (p.ex. ouverture de comptes en cascade, achats et ventes ou divers transferts), le travail des autorités pénales est plus aisé car chaque étape doit normalement être documentée. Dans l’hypothèse où cette obligation de documentation n’aurait pas ou partiellement été remplie, des auditions peuvent avoir lieu. Les intéressés se trouvant en Suisse, leur convocation est facilement réalisable.

Il en va autrement si l’acte d’entrave a été accompli à l’étranger. En effet, il est alors nécessaire d’identifier l’auteur et le faire venir en Suisse afin qu’il s’explique. Si la procédure concerne des pays proches de la Suisse comme la France, l’Italie, l’Allemagne ou le Portugal, les convocations ne posent pas de difficulté. En revanche, si l’affaire concerne des pays plus lointains, cela devient très difficile. Or, si l’autorité ne peut pas avoir les éléments nécessaires, l’enquête peut réellement être compromise. Elle pourrait même ne pas aboutir dans les cas où aucun prévenu ne peut être auditionné, conformément au principe sacré du droit d’être entendu avant qu’une décision soit rendue.

A supposer que la partie de l’enquête concernant le ou les actes d’entrave ait pu s’accomplir, encore faut-il, pour que toutes les conditions de l’art. 305bis CP 12RS 311.0—Code pénal suisse du 21 décembre 1937. (2021). Consulté à l’adresse https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/54/757_781_799/fr soient réunies, déterminer de quel crime, commis à l’étranger, proviennent les fonds. Le Ministère public qui mène l’enquête doit alors, obligatoirement, adresser une demande d’entraide internationale au pays concerné afin de réunir tous les éléments permettant d’affirmer, à satisfaction de droit, que non seulement un crime a été commis à l’étranger mais que les avoirs provenant de ce crime ont atterri en Suisse. Là aussi, avec des pays proches tant du point de vue géographique que d’ordre juridique, cela ne pose pas de problèmes. Avec des pays plus lointains, cela devient autrement plus compliqué, voire impossible puisque plusieurs pays ne collaborent pas ou très peu en matière pénale internationale.

Dans ce cas de figure, l’autorité pénale se trouvera avec un dossier contenant des soupçons importants de blanchiment, mais dans l’impossibilité de poursuivre l’enquête, faire traduire en justice le ou les blanchisseurs, et confisquer définitivement les avoirs blanchis. Le séquestre doit alors être levé.

Il est vrai que cela peut provoquer une certaine frustration. Mais, il y a une consolation. En effet, pendant toute la durée de la procédure pénale (parfois plusieurs années) les fonds restent bloqués et ne peuvent être utilisés. De même, souvent, même si la procédure n’aboutit pas en une condamnation, les principaux intéressés, comprennent que la Suisse n’accepte pas d’avoirs « sales » et finissent par quitter la place financière suisse pour ne plus jamais y revenir.