La problématique de la taxation des GAFA
Les GAFA – acronyme de Google, Amazon, Facebook, Apple – sont les représentants les plus célèbres des entreprises de l’économie numérique qui compte en son sein nombre d’institutions telles que Meetic, Airbnb, Linkedin, Instagram, Critéo, etc.
Le principe de l’économie digitale consiste à fournir une gamme de services sur le web, via des plateformes numériques. Par conséquent, ces sociétés n’ont pas besoin d’établir une présence physique dans les Etats dans lesquels elles opèrent. Elles peuvent donc établir leur siège social et être taxées sur leur bénéfice dans le pays de leur choix, de préférence le plus « accueillant ».
La fiscalité européenne
Au sein de l’UE, les règles actuelles d’imposition des bénéfices sont fondées sur le principe de l’établissement stable à savoir une présence physique, matérialisée par des employés et/ou des actifs.
En matière de fiscalité, l’avis du Parlement européen est purement consultatif et les ministres de l’Economie des Etats membres peuvent s’accorder directement sur une proposition. Par contre, l’unanimité des membres du Conseil est requise pour adopter un texte.
L’absence d’harmonisation autorise la concurrence fiscale entre certains Etats et les GAFA ont implanté leurs filiales et leur présence physique, dans les pays qui proposent les taux d’imposition les plus faibles. Ainsi, l’Irlande accueille les sièges de Facebook et de Google et le Luxembourg accueille Amazon.
La Commission estime que, dans l’Union européenne, le taux moyen d’imposition des bénéfices des GAFA est compris dans une fourchette de 8.5% à 10% alors que celle des entreprises dotées de sièges sociaux physiques se situe en moyenne entre 20% et 23% 1P. Rodrik, tdg/economie/taxation 23.03.2018 .
Le cas d’Amazon
Selon les comptes déposés au Luxembourg pour 2016, Amazon Europe a réalisé 21.6 milliards d’euros de chiffre d’affaires (ce montant n’intègrerait pas les revenus du cloud ni de la publicité). Le bénéfice déclaré est de 60 millions d’euros et l’impôt final de 16.5 millions d’euros.
Comment cela est-il possible ? En 2003, Amazon a signé un accord fiscal avec le Luxembourg aux termes duquel Amazon Europe paie des droits de propriété intellectuelle à une autre société qui, elle, est non taxable. Via celle-ci, les profits réalisés en Europe partent vers l’état du Delaware. Bruxelles estime que sur la période 2006-2014, Amazon a ainsi économisé 250 millions d’euros.
Depuis 2015, en signe de bonne volonté, Amazon a créé de vraies filiales par pays. Mais si en 2015, la succursale française a déclaré un milliard d’euros de chiffre d’affaires (loin des 4,4 milliards estimés), elle n’a payé que 1,7 million d’euros d’impôts sur les bénéfices en raison d’une déduction de 250 millions d’euros au titre de services extérieurs.
Les questions relatives à la taxation
La taxation des activités numériques envisagée par les pays européens, notamment la France, remet en cause une règle fondamentale de l’imposition des entreprises : la taxation des chiffres d’affaires et non plus des bénéfices.
Pour Robert Danon, directeur du centre de politique fiscale de l’Université de Lausanne : « le problème avec la taxe sur les chiffres d’affaires c’est que la compatibilité de cette taxe avec les standards internationaux est douteuse. Elle crée des distorsions parce qu’elle vise certaines entreprises uniquement ».
La position de la Commission européenne
La Commission européenne avait dévoilé en mars 2018 le projet de taxer les multinationales du numérique non plus en fonction de la présence physique, mais là où elles enregistrent leurs revenus.
L’idée était de taxer dans chaque Etat membre de l’UE – en proportion de l’utilisation des services numériques offerts – le chiffre d’affaires généré par certaines activités numériques : vente de données personnelles, vente d’espaces publicitaires en ligne, les services qui permettent les interactions entre utilisateurs et facilitent la vente de biens et de services. Cette taxe devait frapper les très grandes entreprises de l’économie numérique qui réalisent un chiffre d’affaires mondial supérieur à 750 millions d’euros, dont 50 millions dans l’UE. Cela concernerait 120 à 150 entreprises, pour des recettes fiscales de l’ordre de 5 milliards d’euros par an. Par contre, les start-ups et les entreprises numériques de l’économie solidaire étaient exclues du champ d’application 2M-H Revaz, La fiscalité face au défi de l’économie digitale Mazars Suisse 2019 .
En l’absence d’unanimité des 28 Etats, le 11 juillet 2019 le parlement français promulgue sa propre taxe GAFA. Les groupes dont les activités numériques rapportent plus de 750 millions d’euros dans le monde dont 25 millions pouvant être rattachés à des utilisateurs localisés en France seront imposés à 3% en France.
Le chef du Département fédéral des finances a prévenu : « on ne peut faire autrement que de taxer les recettes provenant d’activités digitales ». Le modèle préconisé vise un taux d’imposition des ventes proche de 2% : dans ce cas, la taxation des seules recettes publicitaires de Google en Suisse rapporterait environ 20 millions de francs au fisc helvétique.
La Suisse privilégie les approches multilatérales, élaborées au sein de l’OCDE, qui prévoient une taxation des bénéfices dans l’Etat où a lieu la création de valeur. Tant qu’une solution n’a pas été trouvée au niveau de l’OCDE le Conseil fédéral estime qu’il n’y a pas lieu d’agir 3A. Seydtaghia, le temps.ch/economie/imposition gafa 30.11.2018 .
Conclusion
Faute de consensus européen, l’OCDE s’est saisie du dossier et a annoncé en janvier 2019 l’accord de principe de 127 pays pour une réforme au niveau mondial avec l’objectif de parvenir à un accord final d’ici 2020. Mais pour Washington, cette refonte devrait concerner tous les groupes ayant une activité de distribution transfrontalière.
La solution à long terme privilégiée par la Commission est un système où les bénéfices seraient taxés en fonction du lieu où se trouve l’utilisateur au moment de la consommation.
La taxation des chiffres d’affaires serait transitoire faisant place à une fiscalité plus adaptée aux règles numériques : le nombre d’utilisateurs de services en ligne déterminerait aussi le domicile fiscal de l’entreprise permettant alors de taxer les bénéfices.
Les représentants des GAFA se sont élevés collectivement récemment contre la taxation française des groupes numériques, dénonçant rétroactivité, discrimination et double imposition dans le cadre d’une enquête ouverte par les services du représentant américain au Commerce4. Une étude d’impact estime que la taxe augmentera le prix des services et sera intégralement payée par les consommateurs (Amazon a déjà répercuté la taxe de 3% sur ses clients en France).
Un consensus existe parmi les autorités et les industriels pour reconnaître le besoin d’une réforme du système d’imposition des transactions numériques, sous l’égide de l’OCDE, d’autant que tous les secteurs deviennent progressivement numériques. Des solutions alternatives sont à l’étude comme revoir les règles de répartition du bénéfice entre les états de résidence des entreprises et les états de marché pour donner une part plus importante à l’état de marché.