L’application de l’UK Bribery act : une des lois internationales anti-corruption les plus répressives au monde. Une révolution ?

Auteur
Aïmi Reichenbach, Etudiante du MAS LCE
Thématique
Corruption

La loi américaine « Foreign Corrupt Practices Act » (FCPA) influence grandement la lutte contre la corruption internationale. Depuis 1998, les dispositions du FCPA s’appliquent aux :

  • entreprises qui émettent des titres sur le marché américain incluant également leurs employés, dirigeants, administrateurs, actionnaires, ou leur représentant (art. 15 USC §78dd-1) ;
  • aux citoyens, habitants et ressortissants des États-Unis ainsi que les entreprises sous l’égide de la législation américaine ou ayant leur hub principal sur le territoire américain, leurs employés, dirigeants, administrateurs, actionnaires ou représentants (art. 15 USC §78dd-2) ;
  • à toute personne physique ou morale, quelle que soit sa nationalité, qui a été impliquée dans un accord de corruption en provenance du territoire américain ou via l’utilisation du service postal américain ou de tout autre moyen ou outil de commerce interétatique (par exemple la devise américaine, les outils de communication américains tels que Gmail, Whatsapp, l’usage d’un iPhone, etc. …) (art. 15 USC § 78dd-3). [1]

La pierre angulaire de ces dispositions réside dans l’interprétation du lien, aussi ténu soit-il, entre l’acte de corruption et le sol américain. Ainsi, cette loi crée une hégémonie juridique difficile à rejeter de la part de tout pays étranger. [2] Effectivement, une corruption à l’international usant des infrastructures financières ou des données américaines peut se faire attaquer pas la FCPA. À titre illustratif, le FCPA a été mis en exécution dans l’affaire Alstom en 2019. La devise utilisée du pot-de-vin entre des agents publics indonésiens et un salarié d’une filiale Alstom U.K était le dollar. [3] Ainsi, l’amende FCPA infligée à Alstom s’est élevée à hauteur de 772 millions de dollars.[4]

Ces crimes sont passibles de lourdes peines, car les individus peuvent être condamnés à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison en vertu du FCPA. Pour les personnes morales, elles sont passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 2 millions de dollars. Des frais supplémentaires peuvent être ajoutés, notamment les fausses déclarations, qui entrainent des amendes pouvant atteindre 25 millions de dollars.[5] Au total, les amendes pour violation du FCPA vont généralement de centaines de millions à 1 milliard de dollars. De plus, l’entreprise et ses employés peuvent être passibles de sanctions civiles et pénales.[6]

Un revenu conséquent, qui permet au gouvernement américain de multiplier les enquêtes de ce type et d’en faire la promotion tant au niveau national qu’international.[7]

Bien que les États-Unis aient longtemps été les protagonistes dans la lutte anticorruption extraterritoriale, le Royaume-Uni a fait trembler la place financière internationale en 2011 avec l’introduction de dispositions légales encore plus étendues « UK Bribery Act » (UKBA).[8]

Plus précisément, le champ d’application de l’UKBA est plus vaste concernant l’inaction ou le défaut de prévention face à des faits de corruption. Il est également plus vaste par rapport à l’exterritorialité. À titre d’exemple, une société étrangère peut être passible de sanctions pénales indépendamment du lieu de l’acte de corruption dans le monde à cause du seul fait d’avoir une présence commerciale au Royaume-Uni. Un individu peut également être poursuivi par l’UKBA dès lors qu’il entretient une relation étroite avec le Royaume-Uni. En outre, cette loi vise toutes les typologies de corruption.[9]

En vertu de la UKBA, les sanctions pénales pour les individus peuvent aller jusqu’à dix ans de prison ou/et une amende légale pouvant aller jusqu’à 5 000 livres sterling. Pour les personnes morales, la sanction maximale est une amende illimitée comprenant certaines conséquences collatérales pour les dirigeants, y compris la disqualification des administrateurs.[10]

Une révolution légale dans la lutte anticorruption à l’international. Cependant, qu’en est-il réellement de son application ?

En 2017 le comité de l’UKBA de la chambre des Lords a enquêté sur l’application de la loi réalisée par le Serious Fraud Office (SFO) ainsi que par leurs partenaires. Le SFO est un département non-ministériel du Royaume-Uni en charge de poursuivre les fraudes graves, les pots-de-vin et la corruption. Les recherches de cette enquête se sont basées sur son impact à l’égard des PME, sur le niveau de robustesse dans la poursuite des actes de corruption ainsi que sur le taux de corrélation avec les condamnations et les comportements illicites.[11]

Premièrement, peu de cas de corruption ont été poursuivis entre 2011 et 2017 malgré l’arsenal juridique du Royaume-Uni. À cet effet, plusieurs problématiques sous-jacentes ont été mises en exergue, à commencer avec les moyens de signalisations des faits de corruptions aux autorités compétentes. Au rang national, aucun mécanisme de signalisation centralisé n’a été mis en place pour remonter les actes de corruption.[12] Toutefois, un rapport d’activités suspectes (SAR) offre un outil supplémentaire pour détecter la corruption. Ce système oblige certaines entreprises et particuliers à soumettre des rapports à la National Crime Agency (NAC) s’ils savent ou soupçonnent qu’une personne est impliquée dans le blanchiment d’argent ou le trafic de biens criminels. Bien qu’ils ne soient pas spécifiquement concernés par la détection de la corruption, ils pourraient apporter leur aide dans ce domaine. Néanmoins, peu de ces rapports conduisent à une forme d’enquête de la part de la police ou d’une autre autorité compétente. Cependant, c’est une source précieuse qui contribue à lutter contre ces menaces. Ainsi, cet outil est plus d’usage préventif que répressif.[13]

Le manque de ressources financières du SFO est impliqué par la masse salariale des collaborateurs du SFO a historiquement été bas. Ceci entraîne un roulement du personnel qui perturbe la vitesse à laquelle les accusations sont portées jusqu’au jugement. Ainsi, le SFO mise sur de nouvelles technologies afin d’accélérer le traitement des dossiers complexes.[14]

La problématique de la dépendance financière du SFO a également été mise en lumière. Lors de requêtes de fonds supplémentaires, le SFO doit formuler une requête à la trésorerie. Ceci représente un risque émergeant des conflits d’intérêts qui est critiqué par l’OCDE. A titre d’exemple, le Gouvernement britannique pourrait refuser des déblocages de fonds pour certaines personnes physiques ou morales poursuivies par le SFO lorsqu’il ne voudrait pas qu’elles soient sanctionnées.[15] Ainsi, le budget du SFO est passé de 34.3 millions à 52.7 millions de livres sterling afin de palier en partie à cette problématique.[16]

Le manque de sensibilisation du public et des autorités est causé par les faits de corruption, qui sont souvent catégorisés par d’autres infractions, tels que l’abus de pouvoir ou encore l’inconduite dans la fonction publique. Ainsi, UKBA semble avoir été employée correctement seulement lors de délits mineurs relatifs à des pots-de-vin inférieurs à dix mille livres sterling. Cependant, cette tendance semble graduellement progresser vers de plus gros cas de corruption. Cet aspect résulte vraisemblablement d’une lacune de connaissance des forces de l’ordre à l’égard de la loi UKBA.[17] Ainsi, une formation des autorités compétentes est recommandée par le comité UKBA de la chambre des Lords afin qu’ils puissent mieux appliquer l’UKBA. Plus spécifiquement, il serait recommandé qu’au moins un officier supérieur par poste de police soit formé à l’application de l’UKBA.[18]

L’OCDE a émis une critique concernant le manque de coopération et de coordination du Royaume-Uni des nombreux organes impliqués dans les enquêtes et les poursuites pour corruption. La critique concerne en particulier le manque de sensibilisation et de communication entre les autorités répressives en Angleterre et au Pays de Galles et en Écosse.[19] Ainsi, le gouvernement britannique a créé en 2018 le National Economic Crime Centre qui réunit divers partenaires nationaux chargés de la réponse contre la criminalité économique en usant des informations du secteur privé ainsi que du gouvernement. Il est espéré que cette entité orientera de manière centralisée les questions sur la corruption.[20]

En finalité, l’application de l’UKBA est perturbée par un mécanisme de plainte décentralisé, un manque de sensibilisation des forces de l’ordre, par un manque de ressources financières et de coopération entre les organismes et les nations du Royaume-Uni.

Quels sont les nouveaux enjeux de l’UKBA ?

Bien que le texte UKBA comporte des lacunes dans son application, la loi est saluée au niveau international pour la lutte anti-corruption. Elle est également prise comme modèle de référence.[21]

Les faiblesses majeures de son application sont identifiées et en cours de résolution. Toutefois, ne nous sommes pas à la pointe de l’iceberg ? Qu’en n’est-il des strates précédentes telles que sa définition, sa sensibilisation ou encore de sa détection ?

Effectivement, rien que le stade de la détection est extrêmement complexe.[22] Elle dépend :

  • Des signalements spontanés ;
  • des lanceurs d’alerte et leur protection ;
  • des informateurs anonymes et collaborateurs de justice ;
  • des médias et journalisme d’investigation ;
  • des administrations fiscales ;
  • des cellules de renseignement financier ;
  • des autres organismes publics ;
  • des procédures judiciaires pénales et autres ;
  • de la coopération internationale ;
  • des conseillers professionnels (comptables…). [23]

Ne devrait-on pas tous les inclure dans la stratégie anticorruption transnationale ?

En outre, qu’en est-il d’autres facteurs intrinsèques tels que par exemple la pandémie du Covid-19, les cryptomonnaies et le Brexit ? De quelle manière ces facteurs peuvent-ils influencer le phénomène de la corruption et ainsi la stratégie à adopter face à celle-ci ?

Ceci nous rappelle à quel point le phénomène de la corruption est opaque et, de la même manière, omniprésent dans tout notre écosystème. Ainsi, il est primordial d’étudier chaque aspect de ce phénomène pour y lutter efficacement.

Références

[1] Durfourq, Pauline, et Manon Krouti. « De nouvelles réflexions autour de l’extraterritorialité de la loi pénale américaine anticorruption – Droit pénal des affaires | Dalloz Actualité », 13 septembre 2019. https://www.dalloz-actualite.fr/flash/de-nouvelles-reflexions-autour-de-l-extraterritorialite-de-loi-penale-americaine-anticorruptio#.XwXy_5MzbQ0.

[2] Felardos, Mathis, Manon Fontaine Armand, Gaëlle Landru, et Astrid Lucet. « L’extraterritorialité Américaine : Une Superpuissance Juridique de La Lutte Contre La Corruption Mondiale ». Analyse, 20 janvier 2018. https://portail-ie.fr/analysis/1720/lextraterritorialite-americaine-une-superpuissance-juridique-de-la-lutte-contre-la-corruption-mondiale.

[3] idem nbp 1.

[4] Pfefferlé, Alexis. « Loi anticorruption américaine : une arme de déstabilisation massive ». Bon baiser de Suisse (blog), 7 février 2018. https://blogs.letemps.ch/alexis-pfefferle/2018/02/07/loi-anti-corruption-americaine-une-arme-de-destabilisation-massive/.

[5] TThe United States Department of justice. « Dispositions sur la lutte contre la corruption et sur les livres comptables et les archives de la Loi sur les pratiques de corruption à l’étranger en vigueur jusqu’à Pub. L. [Lois publiques] 105-366 (10 novembre 1998) ». Washington: United States governement, 22 juillet 2004. https://www.justice.gov/sites/default/files/criminal-fraud/legacy/2012/11/14/fcpa-french.pdf.

[6] Navex Global. « Conformité à la loi FCPA | NAVEX Global », 2020. https://www.navexglobal.com/fr-fr/r%C3%A8glements/conformit%C3%A9-%C3%A0-la-loi-FCPA.

[7] White & Case LLP – George J. Terwilliger III. « Foreign Corrupt Practices Act: Efficient and Effective Compliance Solutions in a Heightened Enforcement Environment ». Lexology, 7 mai 2008. https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=dd20c0d0-09e0-4c9a-a0f7-681416e9442d.

[8] idem nbp 2.

[9] Limbour, Alexandre, et Matthias Guillou. « Le UK Bribery Act ». Lexis Nexis, septembre 2011. http://web.lexisnexis.fr/newsletters/avocats/09_2011/2-jcp-g-uk-bribery-act-eq.pdf.

[10] Sohlberg, Marcus. « The United Kingdom Bribery Act 2010 – Anti-Corruption Legislation with Significant Jurisdictional Reach ». Web page. Library of Congress, 6 septembre 2015. https://www.loc.gov/law/help/uk-bribery-act/uk-bribery-act.php.

[11] Great Britain et Ministry of Justice. Government Response to the House of Lords Select Committee on the Bribery Act 2010, 2019.

[12] idem nbp 11.

[13] Select Comitee on the Bribery Act 2010. « The Bribery Act 2010: Post-Legislative Scrutiny ». London: House of Lords, 14 mars 2019.

[14] idem nbp 11.

[15] idem nbp 11.

[16] idem nbp 13.

[17] idem nbp 11.

[18] idem nbp 13.

[19] UK Parliament. « Bribery Act 2010 “an Exemplary Piece of Legislation”, Say Lords Committee – News from Parliament ». UK Parliament, 14 mars 2019. https://www.parliament.uk/business/committees/committees-a-z/lords-select/bribery-act-2010/news-parliament-2017/bribery-act-2010-report-publication/.

[20] idem nbp 13.

[21] idem nbp 13.

[22] «Bilan. « «L’acte de corruption est très difficile à prouver» ». Consulté le 16 mai 2022. https://www.bilan.ch/tv-bilan/l_acte_de_corruption_est_tres_difficile_a_prouver.

[23] OCDE. « The-Detection-of-Foreign-Bribery-FR », 2017. https://www.oecd.org/corruption/anti-bribery/The-Detection-of-Foreign-Bribery-FR.pdf.