Les marchés noirs du Darkweb

Auteur
Etudiant du MAS LCE
Thématique
Cybercriminalité et nouvelle technologie

Auriez-vous pensé un jour pouvoir commander une arme ou de la drogue confortablement installé depuis chez vous ? Aujourd’hui, c’est bel et bien possible. En effet, depuis l’avènement du Darkweb, le web « caché » au contenu non indexé par les moteurs de recherche traditionnels, le trafic de produits illégaux s’est aussi trouvé une place dans le monde de la cybercriminalité. D’ailleurs, il est assez déconcertant de voir des places de marchés reprenant les structures des sites de ventes que l’on peut retrouver sur le web traditionnel. Mais comment cela fonctionne-t-il concrètement ?

L’environnement du Darkweb

Depuis l’essor des technologies de l’information et de la communication, la protection de la vie privée et de nos données est devenue un point central. Par ailleurs, cet engouement a vu naître de plus en plus d’applications telles que Whatsapp, Signal, Telegram, etc. qui promeuvent le chiffrement des échanges comme atout principal de celles-ci. Un réel bénéfice pour les utilisateurs lambda et une occasion en or pour d’autres qui vont profiter, à mauvais escient, de cette protection afin de pouvoir échanger avec le plus de discrétion possible 1Convert, C. (2020). Trafic d’armes sur le Darkweb, le renouveau des menaces internationales à l’ère du numérique. [En ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.researchgate.net/profile/Catherine-Convert/publication/344171490_Trafic_d’armes_sur_le_Darkweb_-_renouveau_des_menaces_internationales_a_l’ere_du_numerique/links/5f5881ea92851c250b9fdedc/Trafic-darmes-sur-le-Darkweb-renouveau-des-menaces-internationales-a-lere-du-numerique.pdf .

Le Darkweb suit la logique de protection de la vie privée. Le point fort d’un tel réseau est, en effet, l’anonymat de ses utilisateurs. Que ce soit du côté « service » ou du côté « client », tout internaute naviguant sur le Darkweb (à l’aide du logiciel Tor, par exemple) va passer par une connexion en plusieurs étapes afin de pouvoir échanger des informations sans que l’on puisse remonter jusqu’à lui. Une connexion sur Tor peut donc être retracée, mais pas l’identité de l’émetteur à l’origine de la recherche. Une autre complexité du Darkweb est que ce réseau est moins convivial que le web surfacique et possède un univers beaucoup plus mouvant avec l’apparition et la suppression rapide de ses sites.

Le Cybertrafic sur le Darkweb

Grâce à ce cadre, une économie parallèle s’est créée sur le Darkweb, mettant à disposition des biens qui ne pourraient être imaginés dans une vitrine de magasin standard. Les marchés les plus prolifiques qui ont migré du monde réel au monde numérique sont ceux de la drogue et des armes donnant suite à un marché « hybride ». Effectivement, de plus en plus de plateformes d’échanges voient le jour essayant d’améliorer la convivialité, la sécurité et facilitant de manière générale ces achats illégaux.

Appelés « cryptomarchés », ces sites de commerces font généralement appel à un tiers neutre afin de s’assurer du bon fonctionnement de la transaction (mise sous réserve du montant / service Escrow). Tant que le client n’a pas reçu la marchandise désirée, le paiement reste en suspens. Ayant toujours pour objectif de préserver l’anonymat des personnes, la plupart des transactions sur le Darkweb se font à l’aide de cryptomonnaies (Bitcoin principalement). Évidemment, il subsiste le problème du passage du virtuel au réel avec la livraison de la marchandise qui passe par les moyens postaux traditionnels et qui comportent donc les risques d’interception par les services douaniers, notamment lors de commandes internationales. Ce point ne semble pas pour autant dissuader les échanges, car les vendeurs proposent des solutions telles que la mise sous vide des produits, le papier bulle ou encore l’acheminement du produit dissimulé et réparti dans plusieurs envois. Ce genre d’offre participe à la bonne réputation du vendeur, qui, sur le Darkweb, est un avantage indéniable pour éviter de tomber dans des pièges comme les escroqueries, les risques d’hacking ou tout simplement des annonces futiles.

Après la transaction, l’acheteur peut évaluer son expérience (qualité, fiabilité, échanges, etc.) et laisser un avis qui pourra convaincre d’autres curieux de marchander avec le vendeur afin de limiter leurs risques. Les achats sur le Darkweb ne sont pas nouveaux ; c’est surtout la démocratisation de ceux-ci qui peuvent représenter, à terme, un risque pour la société en accentuant l’effet d’économie souterraine 2Ref. 1 .

Quelques statistiques suisses

Avec l’essor des technologies, les modes opératoires des infractions ont aussi évolué. En effet, pour la première fois, la statistique policière sur la criminalité intègre les infractions numériques 3Toute infraction pénale commises sur les réseaux de télécommunication, en particulier internet en 2020. On recense lors cette année environ 25’000 infractions numériques (sur environ 422’000 selon les titres du Code pénal) 4Site web de la Confédération suisse – Statistiques criminalité et droit pénale 2020 [En ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/criminalite-droit-penal.html . Cependant, il faut garder à l’esprit que ces résultats sont à interpréter avec prudence car l’enquête possède ses limites. Effectivement, d’une part, toutes les infractions numériques ne sont pas rapportées ou connues de la police, et d’autre part, la liste des modes opératoires n’étant pas exhaustive, celle-ci tend à s’élargir.

Lorsque nous nous intéressons de plus près aux chiffres concernant la rubrique « Darknet », seules deux infractions de commerce illégal ont été recensées – un chiffre étrangement bas pour un service si controversé. Il faut alors rappeler qu’il est très complexe de repérer une infraction commise sur le web caché. Si un internaute fait preuve de prudence, il ne laisse que peu, voire aucune trace derrière lui lors d’achats frauduleux sur le Darkweb.

Effectivement, compte tenu des différents éléments cités plus haut, il est complexe de ressortir des statistiques précises concernant le cybertrafic sur le Darkweb, surtout concernant la provenance et la destination des biens. Toutefois, quelques études ont essayé de se pencher sur l’étendue de ce marché noir et ce qu’il pouvait représenter pour la Suisse. Un rapport financé par l’OFSP 5Rossy Q, Staehli L, Rhumorbarbe D, Esseiva P et Zobel F. (2018) Drogues sur Internet : Etat des lieux sur la situation en Suisse. Lausanne: Addiction Suisse et Ecole des Sciences Criminelles (ESC/UNIL) [En ligne]. Disponible à l’adresse : https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_77FB91CF52EA.P001/REF.pdf concernant la situation de la drogue en Suisse en 2019 s’est concentré sur le cryptomarché « Alphabay », créé en 2014 et fermé en 2017 à la suite d’une opération des autorités. Cette plateforme d’échange avait la particularité d’indiquer le pays d’envoi des marchandises. Il en ressort qu’environ 10’000 ventes de produits stupéfiants ont été détectées en partance de la Suisse, représentant un chiffre d’affaires d’environ 1,3 million de dollars.

Conclusion

Depuis sa création, le Darkweb peut avoir l’air d’être un outil incontrôlable où les autorités semblent impuissantes pour lutter contre les comportements illégaux présents sur ce réseau. Toutefois, la menace du marché noir qui règne sur le Darkweb est prise au sérieux car elle ne fait que de s’accroître. Comme nous l’avons constaté, il est inquiétant d’observer une tendance à rendre les plateformes d’échanges plus conviviales et faire ressembler ces places de marché à des sites de ventes traditionnels que l’on pourrait trouver sur le web surfacique. Pour lutter contre ce phénomène, les organisations comme le FBI ou EUROPOL surveillent, repèrent, s’infiltrent puis ferment les places de marchés illégales. L’entraide internationale et la formation de policiers experts en infractions numériques sont donc primordiales. Bien entendu, le Darkweb reste tout de même légitime pour les personnes ayant un besoin réel de dissimuler leur identité (journalistes, lanceurs d’alertes, etc.) 6Kumar, A., et Rosenbach, E., (2019). Le dark web. La piste de l’argent. [En ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.elibrary.imf.org/downloadpdf/journals/022/0056/003/022.0056.issue-003-fr.pdf#page=25 , mais reste controversé pour tout le contenu illégal que l’on peut y trouver.