Nursultan, la ville ou le dictateur, sur fond de blanchiment d’argent

Auteur
Laurent Débieux
Thématique
Blanchiment d’argent

Nur-sultan est depuis mars 2019 le nouveau nom de la capitale du Kazakhstan. L’ancienne république soviétique a rebaptisé la ville, connue anciennement sous le nom d’Astana. Cette anecdote donne un avant-goût des péripéties locales. Le parallèle est donc relativement vite fait avec l’ancien président qui n’est autre que Nursultan Nazarbaïev.

Nursultan Nazarbaïev a été président de ce pays pétrolier entre 1991 et 2019, année à laquelle il a décidé de démissionner après 29 ans de règne. Il est cependant toujours président du Parti au pouvoir dans le pays en ce moment. Par ces quelques lignes, il est possible dès lors de comprendre que cet homme détient un pouvoir d’influence très important au Kazakhstan. Grâce à une loi votée en 2018, il dispose même d’une immunité judiciaire 1https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/19/demission-du-president-kazakh-apres-pres-de-trente-ans-au-pouvoir_5438330_3210.html, consulté le 03.11.2020 .

Ce fils d’ouvrier a gravi tous les échelons politiques pour arriver à la tête du 9ème plus grand territoire du monde ainsi qu’à la tête d’une fortune considérable, bâtie grâce à sa position politique. Il a également profité de son influence pour introniser des proches au sein de postes clés de l’administration nationale. Par exemple, son gendre, Timur Kulibayev, a notamment été président de la compagnie pétrolière étatique et également administrateur de nombreuses sociétés au Liechtenstein ou aux Îles Vierges britanniques.

Les puits pétroliers sont la principale source de la fortune accumulée par Nazarbaïev. Par exemple, des comptes ouverts en Suisse à son nom et à celui de son ministre du pétrole de l’époque ont montré qu’ils touchaient des commissions pour l’octroi de droits d’exploitation à des entreprises étrangères. Ceux-ci ont été gelés par les autorités suisses après avoir découvert qu’il s’agissait de pots-de-vin d’entreprises américaines. Ces comptes renfermaient plus de 120 millions de dollars 2https://www.swissinfo.ch/fre/les-affaires-plut%C3%B4t-que-les-droits-de-l-homme/3122370, consulté le 03.11.2020 . Un autre exemple, vient de l’affaire des parts dans la société étatique KazMunaiGaz. Nazarbaïev aurait acheté des parts 3https://www.rts.ch/info/monde/3781593-le-president-kazakh-encore-accuse-de-blanchiment.html, le 03.11.2020 pour 30 millions de dollars et les aurait revendues deux ans plus tard pour plus de 300 millions de dollars. De plus, il y a notamment eu des cas d’appropriation de biens publics. En effet, le gendre de Nazarbaïev, Timur Kulibayev, s’est approprié une chaîne de télévision locale. Cette transaction lui aurait rapporté plus de 100 millions de dollars 4Ref. 3 .

Des journalistes locaux qui ont essayé de divulguer ces pratiques ont fait l’objet de représailles violentes (emprisonnement de membre de la famille, mort) 5Ref. 2 . Le contrôle sur les médias était tel que personne n’osait parler de l’enrichissement personnel des personnes au pouvoir. Au-delà de cela, les médias étaient même utilisés par Nazarbaïev pour mener des campagnes contre tout opposant.

Comment tout cet argent était-il blanchi ?

Il s’agit d’une question fondamentale. En effet, après avoir acquis indument toutes ces sommes, encore fallait-il les rendre « propres ». Le principe utilisé débute souvent par la création d’une multitude de sociétés dans divers paradis fiscaux. Mais en plus de cela, il faut avoir des complices, c’est-à-dire des hommes de paille notamment. Ceux-ci sont, soit chargés de garder l’argent d’autrui à leur nom, soit déclarés administrateurs de diverses sociétés, parfois totalement fictives. On peut citer là l’exemple de l’homme d’affaire helvético-kosovar, Behgjet Pacolli. Ce monsieur, originaire de Lugano, est un proche de Timur Kulibayev. Behgjet Pacolli prêtait main-forte au clan Nazarbaïev en échange de l’attribution de contrats publics au Kazakhstan. En effet, son entreprise Mabetex Group a largement contribué au développement de l’infrastructure de la capitale du pays.

Behgjet Pacolli représentait une société qui a elle-même acquis la fameuse villa Romantica de Lugano. La société en question, Stott Ltd. (domiciliée aux Îles Vierges britanniques), a ensuite été rachetée par Transasian Oil B.V., qui aboutissait enfin chez Timur Kulibayev. Les circuits économiques utilisés étaient complexes et rendaient difficile la traçabilité des fonds et surtout l’origine de ceux-ci 6KAZAKHSTAN, CAUCHEMAR SUISSE ? – La Cité, consulté le 03.11.2020 .

D’autres investissements immobiliers ont été effectués, notamment par la fille de Nazarbaïev cette fois-ci, Dinara Nazarbaïev. Celle-ci a tout d’abord créé une société sise à Lugano, pour laquelle elle était administratrice. Cette manœuvre lui a donné le droit de bénéficier d’une autorisation de séjour en Suisse. Ensuite, elle a fait plusieurs acquisitions immobilières, dont une grande maison à Anières (GE) pour un peu plus de 74 millions de francs. Les autorités genevoises ont laissé faire la transaction, quand bien même les ressortissants étrangers (hors UE) ne peuvent pas acquérir de propriété excédant 3’000 mètres carrés. La somptueuse villa à Anières (GE) en fait elle 7’960 7https://www.rts.ch/info/2732386-le-clan-du-president-kazakh-accuse-de-blanchiment.html, consulté le 03.11.2020 .

La société nationale d’hydrocarbures, KazMunaiGaz International, filiale de KazMunaiGaz Trading, est sise à Lugano. D’ailleurs, suite à cela, un nombre important de Kazakhs se sont installés en Suisse 8Ref. 6 .

L’argent du clan Nazarbaïev était donc soigneusement réparti entre divers investissements immobiliers, mais aussi sous forme de comptes bancaires en Suisse, appartenant à diverses personnes ou sociétés. La famille possède des villas et des propriétés dans le monde entier, en particulier à Londres, en Suisse et dans le sud de la France. Elle détient un nombre de sociétés si important, qu’il est difficile de toutes les répertorier. Cela lui donne donc la possibilité d’utiliser des schémas comptables très complexes et difficilement traçables, car en plus de cela, plusieurs pays différents sont concernés. Sachant que les richesses nationales sont quasiment la propriété de la famille, il est même difficile de trouver des estimations précises quant à la fortune concrète que se partage les membres la famille Nazarbaïev9 https://www.bilan.ch/finance/bientot_la_fin_du_blanchiment_immobilier_, consulté le 03.11.2020 .

Illustration de Nur-Sultan, Kazakhstan 10https://www.youngpioneertours.com/what-to-see-in-nur-sultan/, consulté le 03.11.2020

Comment est-ce possible de blanchir autant d’argent en Suisse ?

La problématique de l’acceptation des fonds étrangers est encore grande. En effet, pour que les principes de contrôle de l’origine des fonds puissent avoir lieu, il faut encore que les autorités des pays en question, en l’occurrence le Kazakhstan dans notre cas, collaborent. Or, pour les pays en développement, il n’existe souvent aucune chance de recevoir des informations fiscales pertinentes. Surtout lorsqu’il y a un dictateur au pouvoir qui contrôle les moindres faits et gestes de la population.

Enfin, il faut que les intermédiaires financiers jouent le rôle qui leur est demandé, c’est-à-dire de vérifier concrètement l’origine des fonds de leurs clients et lorsqu’il y a le moindre doute, ils sont censés informer les autorités. Il s’agit donc encore d’un système basé sur la confiance et force est de constater qu’il existe des failles dans ce système. Il y a malheureusement de nombreux cas où les banques ont joué un rôle essentiel dans les schémas complexes utilisés 11https://www.swissinfo.ch/fre/flux-financiers-illicites_-la-suisse-reste-un-refuge-privil%C3%A9gi%C3%A9-pour-l-argent-sale-du-sud/42560716, consulté le 03.11.2020 .