Offres d’emploi fictives : une histoire vraie

Auteur
Olivier Beaudet-Labrecque, ILCE
Thématique
Fraude

Chômage technique, licenciement collectif, agences de placement : le marché du travail suisse évolue actuellement dans une conjoncture économique peu favorable à son plein essor. Dans certains domaines, le processus de recherche d’emploi peut s’avérer long et fastidieux, voire même démoralisant pour les aspirants. À défaut d’attirer l’attention des recruteurs sur leur candidature, ces derniers suscitent parfois l’intérêt de personnes malintentionnées et peuvent devenir des cibles très vulnérables.

Une histoire vraie

De nationalité russe et résidant en Suisse depuis quelques années, Ivan (nom fictif) est à la recherche d’un nouvel emploi. Afin de maximiser ses chances et de trouver le poste de ses rêves, il n’hésite pas à joindre différentes plateformes professionnelles du web. Ses démarches intensives ne semblent pas porter fruit, jusqu’au jour où une femme, également ressortissante russe, lui adresse personnellement une offre d’emploi sur un réseau social notoire. Elle lui explique qu’elle travaille pour une société internationale à la recherche de nouveaux collaborateurs afin d’ouvrir une succursale en Suisse. L’opportunité est attrayante et correspond très bien aux compétences d’Ivan. Il se méfie toutefois de la spontanéité de l’offre, mais son interlocutrice se montre convaincante et l’invite à lui transmettre son CV. Après avoir consulté la crédible page web de l’entreprise, il accède à l’invitation et dépose sa candidature.

Quelques jours plus tard, Ivan reçoit un appel d’un numéro néerlandais inconnu auquel il décide de ne pas répondre. En consultant sa messagerie, il apprend qu’il s’agissait d’un appel de sa compatriote russe désireuse de mener un entretien téléphonique. Elle lui indique que son profil correspond aux attentes de la société pour laquelle elle travaille et lui demande la permission de le rappeler, chose qu’Ivan accepte avec prudence. L’entretien se déroule normalement et se conclut par la transmission d’un formulaire d’embauche. Le document reçu est méticuleusement mis en page et Ivan y inscrit les informations personnelles requises. Sa méfiance s’accroît toutefois lorsqu’il lui est demandé de communiquer ses coordonnées bancaires. Il prend donc la décision de se renseigner davantage sur la société concernée. Le jour suivant, la femme lui retéléphone et lui dit qu’il serait dans son intérêt de soumettre le formulaire dûment complété le plus rapidement possible.

Entretemps, Ivan a demandé l’avis d’un spécialiste de l’ILCE et n’a finalement pas envoyé le formulaire. Il a compris qu’il avait été la cible d’une tentative d’escroquerie méticuleusement orchestrée.

Modus Operandi

Cette forme de fraude, appelée job scam ou employment fraud, ne se termine malheureusement pas toujours ainsi et cause parfois des préjudices irréparables chez les nouveaux « employés ». Les stratagèmes utilisés par les fraudeurs varient d’un cas à l’autre, mais le principe est toujours le même. Il s’agit, dans un premier temps, de recruter un employé sans soulever de suspicion dans son esprit. Pour ce faire, les fraudeurs n’hésitent pas à publier de fausses offres sur les plateformes médiatiques destinées à la recherche d’emploi ou encore, à communiquer directement avec les candidats potentiels. Certains créeront une société fictive avec une page web d’apparence légitime, tandis que d’autres usurperont l’identité d’une entreprise déjà existante.

Une fois recruté, le nouvel employé se fera confier diverses tâches qui finiront par porter atteinte à ses intérêts. Le cas de figure le plus fréquent est celui où il est demandé à l’employé d’encaisser un chèque dans son propre compte bancaire, puis de virer une part de la somme vers l’étranger. Les explications du pseudo-employeur justifiant l’opération peuvent être variées, mais une commission incitative est généralement promise à l’employé. Dans tous les cas, le chèque déposé se révélera faux ou même volé et l’employé en sera avisé par son institution bancaire bien après avoir effectué le virement.

Reconnaître le job scam

La meilleure façon de détecter le job scam en amont est de porter attention à des petits détails qui peuvent paraître anodins, mais qui sont très révélateurs dans ce contexte. Pour ce faire, il faut comprendre que les obstacles auxquels se heurtent les fraudeurs ainsi que l’illicéité de leur pratique les forcent à adopter des comportements typiques.

Page web de l’entreprise

Dans l’élaboration de leur stratagème, les fraudeurs doivent choisir s’ils usurpent l’identité d’une société déjà existante ou s’ils créent une société fictive et mettent sur pied une page web corporative. La seconde option permet d’accroître la vraisemblance de l’escroquerie puisqu’elle rend possible l’utilisation d’adresses mails avec un nom de domaine propre à l’entreprise. Cependant, la création d’un site fonctionnelle et conforme aux standards web actuels requiert temps et ressources. La durée de vie de ce type de fraude étant relativement restreinte, les fraudeurs ont couramment tendance à ménager les efforts et à se satisfaire d’une page d’apparence crédible. Des outils informatiques permettant de cloner rapidement un site web sont parfois utilisés à ces fins, moyennant quelques légères retouches (voir l’exemple ci-contre). Les pages fictives laissent toutefois quelques indices qui méritent d’être examinés :

  • Vérifier la structure de la page et la fonctionnalité des liens;
  • Géolocaliser l’adresse IP de la page (il est peu commun de voir une entreprise américaine héberger sa page sur un serveur en Russie);
  • Retranscrire une phrase de la page dans un moteur de recherche;
  • Effectuer une « recherche par image » des photos de la page (voir support.google.com/websearch/answer/1325808?hl=fr).
Site cloné (gauche) et site original (droite)


L’identité et les coordonnées du recruteur

Afin d’éviter toute possibilité de retraçage une fois la fraude découverte, le recruteur doit nécessairement utiliser une fausse identité. Celle-ci doit être suffisamment crédible pour induire la victime en erreur et susciter sa confiance. Plusieurs techniques sont utilisées à ces fins : profils sur les réseaux sociaux, photos, numéro de téléphone, adresses postale et mail, etc. Cet artifice n’est toutefois pas sans faille et l’analyse de certains éléments peut permettre de présager, voire de découvrir la supercherie :

  • Effectuer une « recherche par image » des dites photos du recruteur;
  • Comparer le nom de domaine de l’adresse mail et celui de l’entreprise;
  • Vérifier si le numéro de téléphone utilisé correspond au lieu physique de l’entreprise;
  • Vérifier l’existence et la cohérence de l’adresse postale.


Prudence et vigilance

Concernant la mésaventure d’Ivan présentée en introduction, quelques-unes des astuces précitées ont rapidement permis de détecter la fraude. Son histoire démontre néanmoins qu’il est important d’effectuer les vérifications nécessaires dès l’apparition du moindre soupçon. Si cela peut sembler évident a posteriori, il en est tout autrement lorsque l’espoir, l’exaltation et l’engouement pour un nouvel emploi sont de la partie.

Soyez donc vigilants !