Les fraudes dans le domaine alimentaire sont courantes et prennent différentes formes, que ce soit lors de la conception ou de la vente des produits. Afin de protéger les revendeurs et les consommateurs, il est nécessaire de contrôler le marché et d’instaurer des bases légales solides dans ce domaine. En Suisse, trois types d’appellations et d’indications pour les produits alimentaires sont prévus par la loi : l’appellation d’origine protégée (AOP), l’indication géographique protégée (IGP) et l’appellation d’origine contrôlée (AOC). Les différences entre l’AOP et l’IGP sont particulièrement fines et les conditions pour les obtenir très strictes. L’AOP est utilisée pour des « produits très étroitement associés à la région dont ils proviennent ».1OFAG, Office fédéral de l’agriculture, 2020. Guide pour le dépôt d’une demande d’enregistrement ou d’une modification de cahier des charges (Guide AOP-IGP) [fichier PDF]. [Consulté le 26 décembre 2022]. Ils doivent répondre à des conditions humaines (savoir-faire) et naturelles venant spécifiquement d’une zone géographique déterminée. Ces facteurs spécifiques donnent le caractère unique des produits protégés par une AOP. Les conditions d’obtention d’une IGP sont, quant à elle, plus souples. Celle-ci protège des « produits attachés à la région dont ils tirent leur origine, mais dont le lien est moins fort ou d’une autre nature que pour l’AOP »2Réf. 1.. Afin d’obtenir cette protection, il faut qu’au moins une des opérations de production ait lieu dans la région déterminée. Ceci laisse une marge de manœuvre plus large au producteur quant à ses techniques de fabrication. L’appellation est donc plus liée à la réputation, car contrairement à l’AOP, le savoir-faire local suffit à faire reconnaître un produit comme IGP, il n’y a pas besoin que des facteurs géographiques soit pris en compte. Finalement, l’AOC protège les vins. Une AOC désigne un canton ou une zone géographique d’un canton dans lequel le raisin doit être récolté, voire vinifié.
En Suisse, il y a 25 produits AOP, 17 IGP et 62 AOC.OFAG, Office fédéral de l’agriculture. Appellations d’origine et indications géographiques.3https://www.blw.admin.ch/blw/fr/home/instrumente/kennzeichnung/ursprungsbezeichungen-und-geografische-angaben.html [Consulté le 26 décembre 2022]. Ces chiffres montrent bien que peu de produits sont protégés et que ces derniers doivent respecter un grand nombre de critères. Il est aussi important de mentionner que ces appellations et indications protègent un lieu, une région, une dénomination traditionnelle, mais pas des noms génériques. Ainsi, il n’est pas possible d’enregistrer un nom qui pourrait décrire un large panel de produits, par exemple « Pain AOP ». Pour que le nom soit protégé, plus de précisions quant au type du produit et à la région sont demandées, par exemple : « Pain de seigle valaisan AOP ».4Réf. 1.
Étant difficiles et contraignantes à obtenir, ces appellations assurent aux consommateurs que les produits sont locaux et issus d’un savoir-faire ancré à une région déterminée, démontrant un gage de qualité. Il peut donc être tentant pour les producteurs ou les distributeurs de vendre certains produits avec une appellation AOP, IGP ou AOC alors que les étapes de production ne remplissent pas les conditions d’obtention.
Afin de protéger les consommateurs et les producteurs de la fraude, plusieurs bases légales ont été édictées. Les grands principes des labels de protection AOP et IGP (définitions, procédure d’enregistrement et effets de la protection) sont régis par l’Ordonnance du 28 mai 1997 concernant la protection des appellations et des indications géographiques des produits agricoles, des produits agricoles transformés, des produits sylvicoles et des produits sylvicoles transformés (Ordonnance sur les AOP et IGP ; RS 910.12). L’article 16 de cette ordonnance mentionne les cas dans lesquels il n’est pas autorisé d’utiliser les mentions AOP et IGP. Selon les al. 1 et 2 de cette disposition, tel est le cas pour les produits non-enregistrés selon les conditions décrites par l’ordonnance et pour les dénominations qui pourraient porter à confusion sur ce sujet.
L’AOC, quant à elle, tire ses principes de l’article 21 de l’Ordonnance du 14 novembre 2007 sur la viticulture et l’importation de vin (Ordonnance sur le vin ; RS 916.140). En Valais notamment, plusieurs cas de fraudes AOC ont porté sur la vente de vins à l’appellation AOC Valais, alors que ces derniers provenaient de l’étranger ou d’un coupage excessif avec des vins ne venant pas du Valais. L’un de ceux-ci est l’affaire de Monsieur Dominique Giroud, qui par sa société Giroud vins SA avait été soupçonné d’avoir vendu plusieurs dizaines de milliers de litres de vin sous l’appellation AOC Valais, alors qu’un coupage excessif avait été effectué avec du vin étranger montre bien que ce genre de cas existe.5Plus de 350’000 litres de vin coupés illicitement chez Giroud Vins, 2014, rts.ch. https://www.rts.ch/info/regions/valais/5634371-plus-de-350000-litres-de-vin-coupes-illicitement-chez-giroud-vins.html[Consulté le 12 mars 2023]. Ce cas n’est pas isolé, car actuellement, une autre affaire est en cours contre l’entreprise Château Constellation SA qui est accusée d’avoir vendu plus de 30’000 litres de vins AOC Valais à l’entreprise Caves Orsat SA, alors que ce dernier proviendrait de l’étranger.6Le Contrôle suisse du commerce des vins porte plainte contre Château Constellation, 2022. rts.ch. https://www.rts.ch/info/regions/valais/13094671-le-controle-suisse-du-commerce-des-vins-porte-plainte-contre-chateau-constellation.html [Consulté le 28 décembre 2022]. L’art. 21 al. 2 de l’Ordonnance sur le vin prévoit que chaque canton fixe les exigences d’obtention de l’AOC, mais que celles-ci doivent prévoir certaines conditions prédéfinies comme « une délimitation de l’aire géographique dans laquelle le raisin au minimum est produit ». Aux alinéas 3 et 3bis de ladite ordonnance, il est mentionné que dans certains cas, il est possible d’étendre l’AOC à des cantons, voire des pays limitrophes. Il faut tout de même que la zone géographique soit bien définie et que les contrôles soient garantis par les organes de contrôles agréés. Selon l’art. 36 al. 1 de l’Ordonnance sur le vin, l’organe de contrôle qui s’occupe du territoire helvétique est la Fondation « Contrôle suisse du commerce des vins ». Il est aussi nécessaire qu’un accord international prévoie le fait d’étendre la zone d’obtention de l’AOC, que le vignoble forme une zone géographique bien définie et que le ou les cantons concernés fixent les exigences spécifiques avec l’Office fédéral de l’agriculture. Il est donc obligatoire de vendre un vin sous l’appellation AOC lorsque celui-ci vient réellement de territoires agréés.
En parallèle, la Loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD ; RS 241) peut également s’appliquer dans les fraudes aux appellations protégées. En effet, il est indiqué à l’art. 3 al. 1 let. b LCD que « celui qui donne des indications inexactes ou fallacieuses sur […], ses marchandises, […] » et à la l’art. 3 al. 1 let. d LCD, que « celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d’autrui. » agit de façon déloyale. Ces deux exemples de bases légales sont applicables dans le cas précité, car en employant les labels AOP, IGP ou AOC tout en ne remplissant pas les conditions requises, le producteur ou le vendeur donne des indications fallacieuses sur ses produits et de ce fait trompe la clientèle. Le producteur ou le vendeur aura accès à une renommée et une illusion de gage de qualité de ses produits qu’il n’a légitimement pas acquis. Il en va de même pour l’utilisation de procédés qui sont de nature à faire naître la confusion décrite à la lettre d. Par exemple, utiliser un terme qui ressemble à « Appellation d’origine contrôlée » crée une confusion chez le consommateur et donne aussi accès à tous les avantages conférés par l’obtention d’une AOC. Le fait d’utiliser les termes AOP, IGP ou AOC sans en avoir le droit tombe aussi sous l’effet de la LCD, car cela donne un avantage par rapport à d’autres entreprises. Il n’est pas juste qu’un producteur vende ses produits sous une appellation dont il ne remplit pas les conditions et ne fait pas les efforts pour les remplir, alors que d’autres font leur maximum pour être en règle. Selon l’article 23 al. 1 LCD, une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire est prévue pour celui qui se rend coupable de concurrence déloyale. Il est important de noter que cette infraction est poursuivie sur plainte uniquement et que la poursuite pénale incombe aux cantons, aux termes de l’art 26a al. 1 LCD.
Le thème de l’utilisation frauduleuse des appellations et d’indications protégées défie les chroniques ces dernières années, particulièrement dans le domaine viticole. Ces appellations donnent certains avantages aux producteurs qui suivent les règles d’obtention de ces labels. Il est donc profitable de vendre ses produits avec une AOP, AOC ou IGP et il est tentant d’utiliser cela abusivement. Afin de lutter contre cela plusieurs acteurs tels que l’Office fédéral de l’agriculture, le Contrôle suisse du commerce des vins, les services cantonaux de l’agriculture ou encore l’Interprofession de la vigne et du vins suisse. Deux types de contrôles sont opérés : le contrôle de la vendange et le contrôle du commerce des vins. Dans le premier cas, ce sont les art. 28 et suivants de l’Ordonnance sur le vin qui s’appliquent. Tous les encaveurs sont soumis à un autocontrôle des règles prévues par l’Ordonnance précitée et les lois cantonales concernant les vendanges. Ils sont contrôlés par le canton au moins une fois tous les six ans. Le contrôle du commerce des vins est effectué par le Contrôle suisse du commerce des vins pour le compte de la Confédération et est régit aux art. 33 et suivants de l’Ordonnance sur le vin. Ils procèdent à des inspections chez chaque entreprise qui effectue du commerce de vins au moins tous les six ans. Ces examens peuvent être effectués plus fréquemment si l’organe de contrôle les estimes nécessaires selon les conditions de l’article 35 al. 2 de l’Ordonnance sur le vin. L’organe de contrôle tient compte par exemple : « de la fiabilité des autocontrôles déjà effectués par l’entreprise », « des risques identifiés en matière d’assemblage, de coupage, de respect des dénominations et désignations » ou encore « des antécédents de l’entreprise au regard du respect de la législation ». Ceci donne une certaine liberté à l’organe de contrôle d’effectuer fréquemment ou non des vérifications chez les entreprises. C’est par exemple cet organe de contrôle qui a porté plainte contre l’entreprise Château Constellation SA dans le cas cité précédemment.7Réf. 6. Aussi, l’Interprofession de la vigne et du vin suisse agit contre les fraudes en la matière. Cette association faîtière aide et promeut les viticulteurs de tout le pays. En sa qualité de représentante des producteurs, l’association se doit de lutter contre les fraudes. Elle avait par exemple porté plainte, par sa section valaisanne, contre Monsieur Dominique Giroud en 2015 pour concurrence déloyale entre autres.8Affaire Giroud : l’IVV déboutée par le Tribunal fédéral, 2023, Le Nouvelliste, https://www.lenouvelliste.ch/valais/affaire-giroud-livv-deboutee-par-le-tribunal-federal-1269084 [Consulté le 12 mars 2023]. Ces moyens de lutte sont relativement efficaces. Dans certains cas, des analyses isotopiques sont effectuées pour retracer l’origine des vins. Cette dernière consiste à examiner l’oxygène présent dans les molécules d’eau du vin. Malgré l’utilité et la fiabilité de ces tests, ces derniers sont rares. Entre 2017 et 2021, 324 vins ont été analysés en laboratoire. Ces analyses seront renforcées dans le futur afin de mieux contrôler le marché.9Fraude suspectée à l’AOC Valais : l’analyse de provenance des vins reste très rare, 2022, Le Nouvelliste, https://www.lenouvelliste.ch/valais/fraude-suspectee-a-l-aoc-valais-lanalyse-de-provenance-des-vins-reste-tres-rare-1185503 [Consulté le 13 mars 2023]. Aussi, l’affaire de Château Constellation SA fait part d’une filature organisée de la part du Contrôle suisse du commerce des vins lors de la livraison litigieuse de vin en 2022 afin d’obtenir des informations sur la provenance de ce dernier. Par la suite, les vins ont fait l’objet d’une analyse isotopique.10Réf. 6. Ceci démontre la réactivité de l’organe de contrôle et son activité concrète sur le terrain.