Quand l’étiquetage nous ment

Auteur
Naida Tenes, étudiante BSc in Business Law
Thématique
Criminalité environnementale, Fraude

Cette contribution a pour thématique les fraudes dans le domaine alimentaire. Cela désigne la substitution, dilution ou addition intentionnelle d’un produit alimentaire dans le but d’obtenir un bénéfice financier en trompant le consommateur. Nous allons ici nous concentrer sur les fraudes liées à l’étiquetage. 1Eurofins, « Fraude alimentaire : Un enjeu d’actualité pour l’industrie agroalimentaire ». Consulté le 27 décembre 2022 sur https://www.labenvironex.com/agroalimentaire/analyses-fraude-alimentaire/fraude-alimentaire/

Ce travail consiste plus précisément à faire une analyse juridique sur un sujet qui touche actuellement tout consommateur.

En effet, selon la Commission européenne, les pertes annuelles liées à la fraude alimentaire pour l’industrie mondiale s’élèvent à 30 milliards d’euros. Il s’agit cependant d’une estimation, difficile de savoir si nous nous approchons de la réalité ou si nous en sommes bien loin.2Foodwatch, « Fraude alimentaire : que se cache-t-il derrière ce scandaleux tabou ? », modifié le 03.03.2022. Consulté le 27 décembre 2022 sur https://www.foodwatch.org/fr/sinformer/nos-campagnes/transparence-et-scandales/fraude-alimentaire/fraude-alimentaire-definition-enjeux-et-chiffres/

La fraude alimentaire

Il existe aujourd’hui différentes formes de fraudes alimentaires. Trois formes peuvent être identifiées facilement :

La fraude aux faux ingrédients est la plus connue du grand public. De la viande de cheval vendue à titre de viande de bœuf, de l’huile d’olive remplacée par de l’huile de tournesol mélangée à de la chlorophylle figurent parmi les affaires les plus médiatisées. Ces scandales pourraient ralentir les fraudeurs, rendant le consommateur et l’état plus attentif, mais ils s’enchaînent et les modes opératoires continuent de faire prospérer de nombreuses entreprises au détriment du consommateur.

Mauvaise provenance ou allégations illégitimes sur les étiquettes, la technique des fausses étiquettes permet aux fraudeurs de gonfler les prix. Gages de confiance, les indications géographiques protégées sont très recherchées parmi les acteurs  de la chaîne de production et d’approvisionnement alimentaire. D’après l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), la contrefaçon représenterait 9% du marché des Indications Géographiques Protégées.3Réf. 2. De nombreux produits étiquetés de manière frauduleuse ont été découverts en Europe. Parfois les actions directes du consommateur contre le fabricant, via les réseaux sociaux par exemple, sont suffisantes pour que les pratiques soient modifiées. Cependant, tant que les lois resteront telles quelles et que les abus ne seront pas légalement punis, les arnaques perdureront.4Foodwatch, « Arnaque sur l’étiquette ». Consulté le 2 janvier 2023 sur https://www.foodwatch.org/fr/sinformer/nos-campagnes/transparence-et-scandales/arnaques-sur-letiquette/ L’étiquetage de certains aliments, notamment des denrées alimentaires d’origine animale, n’est pas conforme quant à la définition de la provenance. Plus grave encore, il arrive que des produits soient étiquetés avec une nouvelle date de consommation après que la date initiale est dépassée.5RTS, « Fraude alimentaire, la nouvelle mafia », émission du 26 août 2021. Consulté en 2021, retrouvé sur https://pages.rts.ch/emissions/temps-present/12342638-fraude-alimentaire-la-nouvelle-mafia.html Dans d’autres cas, la composition du produit est en cause : substitution d’ingrédients par d’autres plus rentables qui sont parfois nocifs pour la santé du consommateur. Des scandales comme l’affaire Findus de 2013 illustre bien ce type de fraude. Dans cette catégorie rentre également les faux labels certifiant la qualité qui n’est alors pas au rendez-vous.6Réf. 4.

Le danger sanitaire représente sûrement la forme de fraude la plus dangereuse pour le consommateur puisque des aliments périmés, contaminés ou encore transformés avec des produits interdits sont mis en cause ici. Viande d’animaux malades, aliments traités illégalement avec des désinfectants, utilisation d’additifs sont des exemples multiples. Malgré le danger reconnu, cette méthode est courante.7Réf. 2.

Les différents acteurs

Du petit producteur au trafiquant, en passant par le distributeur, les fraudeurs n’ont pas de profil unique. Puisque ce genre de commerce frauduleux est bien moins évident à repérer que d’autres, il s’agit d’une aubaine pour bon nombre de commerçants et mafieux. En effet, il est difficile de contrôler les étiquettes de chaque produit acheté, la composition de chaque produit consommé.

L’Europe compte bon nombre de groupe de recherche et de contrôle pour contrer cette forme de profit illégitime et illégal. Voici notamment les principaux :

Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)

L’EFSA fournit des avis scientifiques afin de protéger la vie et la santé humaine, l’environnement, ainsi que la santé des animaux et des plantes.8EFSA, site officiel de l’UE. Consulté le 19 mars 2023 sur https://www.efsa.europa.eu/fr/about/about-efsa

Europol

Europol est une agence européenne qui lutte contre toutes les formes de criminalité organisée et internationale grave, la cybercriminalité et le terrorisme.9EUROPOL, « About Europol ». Consulté le 19 mars 2023 sur https://www.europol.europa.eu/about-europol

Eurojust

Eurojust est l’autorité judiciaire qui travaille contre la criminalité transnationale impliquant deux ou plusieurs pays. Sa mission et ses assignations sont équivalentes à celles des ministères des affaires étrangères dans d’autres pays.10EUROJUST, « What we do ». Consulté le 19 mars 2023 sur https://www.eurojust.europa.eu/about-us/what-we-do

En Suisse, l’Etat a des obligations de contrôles. Pour lutter contre la fraude alimentaire, une plateforme composée des différents offices fédéraux et d’autorités cantonales met en place des programmes de contrôles.  Les obligations de l’entreprise sont développées aux art. 26 et ss de la Loi sur les denrées alimentaires (LDAI ; RS 817.0). En effet, en plus des contrôles officiels, les entreprises suisses sont dans l’obligation de s’autocontrôler et de renseigner.

Le consommateur est le dernier au bout de la chaîne. C’est lui qui achètera des produits qui ne correspondent pas à leur description. Que l’achat se fasse en ligne ou en magasin, il doit veiller à payer le prix affiché. Il peut également vérifier labels et origine indiquée.

Cadre juridique européen

Le Règlement, nommé INCO, n° 1169/2011 publié le 22 novembre 2011 concerne l’étiquetage et l’information du consommateur sur les denrées alimentaires. Même si les règles concernent toutes les denrées alimentaires, certaines dispositions ne s’appliquent qu’aux produits préemballés.11Ministère de l’économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, « Étiquetage des denrées alimentaires : nouvelles règles européennes ». Consulté le 27 décembre 2022 sur https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/etiquetage-des-denrees-alimentaires-nouvelles-regles-europeennes  

Cadre juridique suisse 

La Suisse dispose de la Loi fédérale du 20 juin 2014 sur les denrées alimentaires et les objets usuels (LDAI ; RS 817.0). Elle traite premièrement des exigences applicables aux denrées alimentaires et aux objets usuels. Complétée par des chapitres concernant le contrôle, son exécution, le financement et le traitement des données, la loi présente finalement les dispositions pénales ainsi que les voies de droit.

Pour cette contribution, il est intéressant d’étudier l’art. 12 LDAI car il renseigne sur l’obligation d’étiqueter et de renseigner. L’alinéa 1 indique que toute denrée alimentaire préemballée doit indiquer le pays de production, la dénomination spécifique et les ingrédients aux consommateurs. Il existe d’autres indications édictées par le Conseil fédéral à l’art. 13 al. 1 LDAI. La durée de conservation, le mode de conservation, la provenance des matières premières, le mode de production, le mode de préparation, les effets particuliers, les dangers particuliers et la valeur nutritive peuvent alors également être prescrits.12Loi fédérale du 20 juin 2014 sur les denrées alimentaires et les objets usuels (LDAI ; RS 817.0)

Il existe en Suisse divers ordonnances régissant les produits avec une appellation AOP, IGP ou AOC.

Les labels de protection AOP et IGP sont régis par l’Ordonnance du 28 mai 1997 concernant la protection des appellations et des indications géographiques des produits agricoles, des produits agricoles transformés, des produits sylvicoles et des produits sylvicoles transformés (Ordonnance sur les AOP et IGP ; RS 910.12). L’AOC se base, elle, sur l’article 21 de l’Ordonnance du 14 novembre 2007 sur la viticulture et l’importation de vin (Ordonnance sur le vin ; RS 916.140).

 Sanctions juridiques

Le chapitre 7 de la LDAI contient les dispositions pénales et les voies de droit en matière de fraude alimentaire. Selon l’art. 64 al. 1 let. j de la LDAI, quiconque enfreint intentionnellement les prescriptions concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ou des objets usuels ou la publicité relative à ces produits encoure jusqu’à CHF 40’000.- d’amende. La peine pécuniaire peut s’élever à CHF 80’000.- si les faits ont été réalisés à titre professionnel ou avec l’intention de s’enrichir (art. 64 al. 2 LDAI). La LDAl dispose que ce sont les cantons poursuivent et jugent les infractions (art. 66 LDAl). La loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance contient également des dispositions applicables. Quiconque utilise intentionnellement une indication de provenance inexacte ou susceptible de confusion ou qui crée un risque de tromperie risque une peine privative de liberté d’un an au plus ou une peine pécuniaire. Si l’auteur agit dans sa profession, la peine encourue est une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou une peine pécuniaire.13Loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM ; RS 232.11)

Conclusion 

Selon différentes lectures et recherches, il est possible de mettre en avant que le consommateur n’est pas assez protégé aujourd’hui. Malgré des législations qui évoluent, les cas de fraudes ne diminuent pas. En 2020, le nombre de suspicion de fraude alimentaire a augmenté de 20%.14Phytocontrol, « Publication du rapport annuel 2020 sur la fraude alimentaire ». Consulté le 20 mars 2023 sur https://www.phytocontrol.com/veille-reglementaire/publication-du-rapport-annuel-2020-sur-la-fraude-alimentaire/ Le consommateur se doit de rester vigilent.

Il semblerait que d’autres modifications législatives devraient être envisagées :

  • L’origine exacte du produit devrait être mentionnée.
  • Toutes informations concernant les valeurs nutritionnelles et les ingrédients devraient être indiquées de manière simple et compréhensible pour tous les consommateurs.
  • Les additifs ainsi que leur fonction devraient également être indiqués.
  • Les organismes génétiquement modifiés devraient être cités.
  • Des contrôles plus nombreux et rigoureux devraient être réalisés.

Même si les règlements évoluent et que les obligations s’accentuent, le chemin reste long avant que ces pratiques disparaissent.