Salaire vs dividende, tout est question de proportionnalité

Auteur
Alexandre Schorderet
Thématique
Autre

Si le salaire rémunère un travail fourni, d’où l’adage « tout travail mérite salaire », le dividende, quant à lui, correspond au retour sur investissement relatif à un capital propre engagé. Cette distinction n’est toutefois pas toujours appliquée de manière évidente lorsqu’il s’agit de rémunérer un employé détenteur de participation.

L’aspect fiscal entre bien souvent en ligne de compte. En effet, la forme sous laquelle la rémunération des cadres est versée a des conséquences considérables au niveau de la fiscalité :

Un salaire élevé est soumis à plus de charges sociales, mais réduit également le bénéfice de l’entreprise et par conséquent la charge fiscale de cette dernière.

Quant au dividende, il n’est pas soumis aux charges sociales, mais entraine une double charge fiscale : imposition sur le bénéfice de l’entreprise et imposition sur le revenu de l’actionnaire. La double imposition est, dans certaines conditions, atténuée par une imposition partielle au niveau fédéral 1Art. 20 al. 1bis LIFD et une imposition partielle ou à taux réduit au niveau cantonal 2Commission de l’économie et des redevances. (2019, septembre). Imposition des dividendes – explications de l’AFC. Récupéré sur parlement.ch : https://www.parlament.ch/centers/documents/_layouts/15/DocIdRedir.aspx?ID=DOCID-3-7767 .

Ces différences poussent certains cadres à favoriser une forme de rémunération plutôt qu’une autre. Si l’aspect fiscal peut influencer la structure de rémunération, il tient toutefois à respecter une proportionnalité adéquate afin d’éviter d’une part la qualification d’un dividende en tant que salaire déterminant soumis aux cotisations sociales et d’autre part à une distribution dissimulée de bénéfice.

Qualification d’un dividende en tant que salaire déterminant soumis aux cotisations sociales

Lors d’un contrôle de la caisse de compensation, celle-ci peut requalifier une partie d’un dividende en salaire déterminant. Le montant correspondant est alors soumis aux charges sociales.

Selon le tribunal fédéral, « il y a lieu de déroger à la répartition choisie par la société s’il existe une disproportion manifeste entre la prestation de travail et le salaire ainsi qu’entre le capital propre engagé dans l’entreprise et le dividende versé » 3ATF 141 V 634 . Cela signifie qu’une reclassification d’un dividende en salaire déterminant ne peut avoir lieu que lorsque le salaire est jugé insuffisant conformément aux usages du secteur et lorsqu’un dividende trop élevé a été versé. En présence d’un rendement des fonds propres de plus de 10%, les caisses de compensation considèrent qu’un dividende est excessif 4Département fédéral de l’intérieur. Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG, état janvier 2019. Ch. 2018 .

Pour déterminer si l’indemnité sous forme de salaire est appropriée, les éléments suivants sont pris en considération : le cahier des charges, le niveau de responsabilité, l’expérience, la connaissance de la branche, le genre d’activité, l’évolution des salaires, le taux d’occupation ou encore le calculateur de salaire de l’office fédéral de la statistique. De plus et si cela est possible, le dividende est comparé avec celui distribué à des détenteurs de participations qui ne sont pas employés. Le salaire peut également être comparé avec celui d’autres salariés n’ayant pas de droit de participation afin de mesurer l’éventuel déséquilibre 5Département fédéral de l’intérieur. Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG, état janvier 2019. Ch. 2016 .

Si la disproportion est prouvée, la partie du dividende non admise est convertie en salaire déterminant soumis aux cotisations.

D’un point de vue fiscal, l’employé actionnaire qui aura bénéficié de l’imposition partielle sur le dividende risque de voir sa taxation adaptée à la suite de la décision de la caisse de compensation, ce qui entrainerait également des intérêts de retard sur le montant de l’impôt dû.

Distribution dissimulée de bénéfice

Lorsqu’un salaire de cadre est jugé excessif, on parle de distribution dissimulée de bénéfice ou encore de prestation appréciable en argent.

Par excessif, on entend les prélèvements qui ne sont pas conformes à l’usage commercial 6Art. 58 al. 1 let. B LIFD .

Il y a distribution dissimulée de bénéfice lorsque les quatre conditions suivantes sont cumulativement satisfaites 7ATF 140 II 88, consid. 4.1, 138 II 57 consid. 2.2, 131 II 593 consid. 5.1 :

  • la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante
  • cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le touchant de près
  • ladite prestation n’aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers
  • la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste de telle sorte que les organes de la société auraient pu se rendre compte de l’avantage qu’ils accordaient

Pour déterminer si la rémunération correspond aux prestations fournies, l’autorité fiscale doit vérifier qu’elle égale à la rémunération qu’aurait obtenue une tierce personne dans les mêmes circonstances.

Une rémunération est donc excessive si elle dépasse celle d’une personne avec une formation et expérience similaire, occupant la même position et la même fonction dans une entreprise active dans le même domaine, ayant une taille et une situation financière analogue. Si une telle comparaison n’existe pas, il est admissible de fixer le salaire de base en fonction des statistiques.

Dans ce cas de figure, la méthode dite « valaisanne » est généralement appliquée pour déterminer le salaire acceptable d’un employé actionnaire. La méthode valaisanne prend en compte un salaire de base et l’adapte en fonction du chiffre d’affaires et du bénéfice. Cette formule tient compte l’implication des salariés et la situation de l’entreprise 8Me Philippe Ehrenström. (2019, septembre). Salaire excessif, distribution dissimulée de bénéfice et méthode valaisanne. Récupéré sur droit du travailensuisse.com : https://droitdutravailensuisse.com/2016/06/29/salaire-excessif-distribution-dissimulee-de-benefice-et-methode-valaisanne/ .

Le TF ainsi que l’administration fédérale des contributions approuve cette méthode de calcul, car elle permet un résultat exempt d’arbitraire, adapté aux circonstances du cas d’espèce 9ATF 2C_421/2009 consid. 3.3, 2C_188/2008 consid. 5.3 & ATA/485/2013; ATA/125/2013; ATA/25/2013; ATA/170/2012 .

Une fois que l’autorité fiscale a considéré un salaire ou une partie de celui-ci comme étant une prestation appréciable en argent, la part non admise est alors réintégrée au bénéfice imposable de la société selon les règles correctrices 10Art. 58 al. 1 let b LIFD . Gardons également à l’esprit que la procédure de rappel d’impôts engendre des intérêts moratoires sur le montant de l’impôt dû qui peuvent se révéler conséquents.

Une distribution dissimulée de bénéfice sous forme de salaire ne viole pas les règles comptables impératives 11P. Brülisauer & M. Mühlemann. Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer. Zweifel/Beusch (éd.). Art. 58 LIFD, N 381 . Cette mauvaise appréciation entre la prestation et sa contre-prestation n’est donc pas considérée comme une soustraction d’impôt et ne relève par conséquent pas du droit pénal 12P. Brülisauer & M. Mühlemann. Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer. Zweifel/Beusch (éd.). Art. 58 LIFD, N 249, n 261-262 .

Une reprise peut également être faite chez l’actionnaire ayant bénéficié de la prestation appréciable en argent. En effet, lorsque l’actionnaire possède au moins 10% du capital-actions ou du capital-social, il peut bénéficier de l’imposition partielle des dividendes 13Art. 18b al. 1 LIFD . Toutefois la requalification du salaire en dividende intervient souvent après l’entrée en force de sa taxation personnelle et malheureusement pour l’actionnaire, une simple requalification de revenu ne constitue pas un motif valable pour une révision de la taxation 14J-P. Krafft. Commentaire de la loi sur l’impôt fédéral direct. Art. 20 LIFD, N 230 . Toutefois, le contribuable peut demander le remboursement des cotisations sociales payées sur la part du salaire requalifiée. Pour ce faire, il dispose d’un délai d’une année à compter de la fin de l’année civile durant laquelle la taxation de la société est entrée en force15 Art. 16 al. 3 LAVS .

D’autre part, la distribution dissimulée de bénéfice entraine l’application de l’impôt anticipé de 35% 16Art. 4 al. 1 let. b LIA et art. 20 al. 1 et 2 OIA . La société qui a octroyé des prestations sous la forme d’une distribution dissimulée de dividende a l’obligation de transférer la charge d’impôt au bénéficiaire de la prestation sans quoi l’administration fiscale des contributions considèrera le montant de la prestation appréciable en argent selon la méthode du « brut pour net ». L’actionnaire qui aura déclaré la prestation appréciable en argent comme salaire aura droit au remboursement. En effet, même si la prestation n’a pas été qualifiée de dividende lors de la taxation, elle a quand même fait l’objet d’une imposition dans son chef 17I. Baumgartner & S. Bossart Meier.  Kommentar zum Bundesgesetz über die Verrechnungssteurer. Zweifel/Beusch/Bauer-Balmelli (éd.). Art. 20 LIA, N 26 .

Finalement et bien qu’il ne semble pas qu’une disproportion de revenu puisse entrainer une procédure en matière pénale, il est préférable d’éviter tout risque de reclassification d’un revenu à la fois chez l’actionnaire qu’au sein de la société. Comme, il a été mentionné des conséquences financières, via des intérêts moratoires élevés et un refus de réouverture d’une taxation, ainsi qu’une charge administrative supplémentaire en serait la conséquence.

  • 1
    Art. 20 al. 1bis LIFD
  • 2
    Commission de l’économie et des redevances. (2019, septembre). Imposition des dividendes – explications de l’AFC. Récupéré sur parlement.ch : https://www.parlament.ch/centers/documents/_layouts/15/DocIdRedir.aspx?ID=DOCID-3-7767
  • 3
    ATF 141 V 634
  • 4
    Département fédéral de l’intérieur. Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG, état janvier 2019. Ch. 2018
  • 5
    Département fédéral de l’intérieur. Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG, état janvier 2019. Ch. 2016
  • 6
    Art. 58 al. 1 let. B LIFD
  • 7
    ATF 140 II 88, consid. 4.1, 138 II 57 consid. 2.2, 131 II 593 consid. 5.1
  • 8
    Me Philippe Ehrenström. (2019, septembre). Salaire excessif, distribution dissimulée de bénéfice et méthode valaisanne. Récupéré sur droit du travailensuisse.com : https://droitdutravailensuisse.com/2016/06/29/salaire-excessif-distribution-dissimulee-de-benefice-et-methode-valaisanne/
  • 9
    ATF 2C_421/2009 consid. 3.3, 2C_188/2008 consid. 5.3 & ATA/485/2013; ATA/125/2013; ATA/25/2013; ATA/170/2012
  • 10
    Art. 58 al. 1 let b LIFD
  • 11
    P. Brülisauer & M. Mühlemann. Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer. Zweifel/Beusch (éd.). Art. 58 LIFD, N 381
  • 12
    P. Brülisauer & M. Mühlemann. Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer. Zweifel/Beusch (éd.). Art. 58 LIFD, N 249, n 261-262
  • 13
    Art. 18b al. 1 LIFD
  • 14
    J-P. Krafft. Commentaire de la loi sur l’impôt fédéral direct. Art. 20 LIFD, N 230
  • 15
    Art. 16 al. 3 LAVS
  • 16
    Art. 4 al. 1 let. b LIA et art. 20 al. 1 et 2 OIA
  • 17
    I. Baumgartner & S. Bossart Meier.  Kommentar zum Bundesgesetz über die Verrechnungssteurer. Zweifel/Beusch/Bauer-Balmelli (éd.). Art. 20 LIA, N 26