Sans octroi d’avantage il n’y a pas d’acceptation d’avantage : quid des lois causales ? Affaire Pierre Maudet

Auteur
Nora Paz Ruiz, étudiante du MAS LCE
Thématique
Corruption

Un fait divers qui a été au cœur de tous les ménages suisses au moins une fois lors de ces trois dernières années fut l’affaire Pierre Maudet et la discussion autour de son voyage à Abu Dhabi en 2015. Juridiquement, l’affaire soulève la question de l’acceptation d’un avantage. En vertu de l’article 322 sexies du Code Pénal Suisse (CP), il y a acceptation d’un avantage lorsque : « Quiconque, en tant que membre d’une autorité judiciaire ou autre, en tant que fonctionnaire, en tant qu’expert, traducteur ou interprète commis par une autorité, ou en tant qu’arbitre, sollicite, se fait promettre ou accepte un avantage indu, en sa faveur ou en faveur d’un tiers, pour accomplir les devoirs de sa charge est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire ».

Dès lors, il y a lieu d’analyser, sur la base de l’affaire Pierre Maudet, les différents points clés de cet article de loi. L’affaire concerne un conseiller d’Etat de Genève qui a accepté un voyage, mais est-il pour autant indu ? Et enfin cela a-t-il eu pour effet de modifier l’accomplissement des devoirs de sa charge ?

Acceptation d’un avantage

En nous concentrant sur l’octroi (art. 322quinquies CP) et l’acceptation d’avantage (art. 322sexies CP), nous remarquons que ces dispositions pénales visent à encadrer les manœuvres ayant pour visée l’influence favorable de l’agent public à exercer les devoirs de sa fonction. Pour autant, il n’y a aucune violation de ceux-ci (contrairement à la corruption passive, art. 322 quater, qui est punie plus sévèrement). L’unique but est ainsi d’accélérer ou garantir l’obtention du service de l’agent public 1Mazou, Miriam. 2018. Affaires Maudet et peut-être Broulis: acceptation d’un avantage, de quoi parle-t-on ? Le Temps. [En ligne] 13.09.2018. [Consulté le : 01.02.2022]. Disponible à l’adresse : https://blogs.letemps.ch/miriam-mazou/2018/09/13/affaires-maudet-et-broulis-octroi-et-acceptation-dun-avantage-de-quoi-parle-t-on/ . Les cadeaux de faible valeur ne sont en général pas concernés. Nous parlons donc plutôt d’avantages de type : « alimentation progressive » ou « entretien d’un climat propice », signifiant que le corrupteur n’attend pas un service concret et direct de la part du corrompu (l’agent public), mais tous deux savent que le cadeau est offert en vue de la réalisation du travail de ce dernier 2International Transparency. Glossaire. Transparency International. [En ligne] [Consulté le : 25.01.2022]. Disponible à l’adresse : https://transparency.ch/fr/glossaire/ .

Enfin, il est à noter que l’acceptation d’un avantage doit être intentionnelle. L’agent public a conscience, réalise et accepte le cadeau afin d’effectuer le devoir de sa charge. Autrement, il ne sera pas puni 3Ref. 1 .

Retour sur l’affaire Pierre Maudet

Début 2021, Pierre Maudet fut condamné par le Tribunal de police de Genève à payer la valeur du voyage en compensation, soit 50’000 CHF 4Citroni, Fabiano. 2021. Pierre Maudet reconnu coupable d’acceptation d’un avantage pour son voyage à Abu Dhabi. RTS info. [En ligne] 23.02.2021. [Consulté le: 25.01.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/geneve/11995184-pierre-maudet-reconnu-coupable-dacceptation-dun-avantage-pour-son-voyage-a-abu-dhabi.html . Alors que ses finances personnelles lui auraient aisément permis de payer ledit voyage, le conseiller d’Etat a « par convenance personnelle et facilité » accepté celui-ci, a relevé la présidente du tribunal. Le fait qu’il ait envisagé et accepté le risque de se faire influencer dans l’accomplissement de ses devoirs est un manquement selon le Tribunal de police 5Ref. 4 .

Pierre Maudet fit ensuite appel auprès de la Chambre pénale d’appel et de révision. Le 11 janvier 2022, le conseiller d’Etat a été acquitté. L’acceptation d’un avantage n’a pas été retenue 6Mansour, Fati. 2022. Pierre Maudet est acquitté sur toute la ligne en appel. Le Temps. [En ligne] 11.01.2022. [Consulté le : 25.01.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/suisse/pierre-maudet-acquitte-toute-ligne-appel . Le verdict reprit en substance que l’accusé, ainsi que son bras droit, avaient bien accepté un avantage indu, mais qu’ils ne l’avaient pas fait avec l’intention et l’idée que cela modifierait les devoirs de leur charge 7Ref. 6 .

Quid des lois causales ?

Dans les faits, la cour n’a pas reconnu les deux personnes ayant participé à l’organisation du voyage comme autrices de l’octroi d’un avantage dans l’affaire Pierre Maudet, que cela soit à titre principal ou accessoire, bien que leurs agissements n’aient pas été sans arrières pensées. Pierre Maudet n’a donc pas pu être accusé d’avoir accepté un avantage. On en déduit qu’il ne peut y avoir acceptation d’un avantage sans octroi d’un avantage en premier lieu (juridiquement parlant) 8Ref. 6 .

Il me parait intéressant de se pencher sur les lois causales afin de discuter de la direction causale de la cour d’appel, d’un point de vue un peu plus moral. En effet, la loi causale pose comme relation de cause à effet que, par exemple, A engendre B. Il existe quatre formes de causalité à débattre pour chaque relation.

  • La causalité directe, soit le postulat de base : A (octroi d’un avantage) cause B (acceptation d’un avantage).
  • La causalité inverse : B cause A ?
  • La causalité réciproque : A cause B et B cause A.
  • La causalité affaiblie : A cause B et B diminue A.*

*La causalité affaiblie n’est ici pas cohérente et donc ne sera pas discutée.

La causalité directe affirme que l’octroi d’un avantage engendre l’acceptation de celui-ci. Ce postulat est certes très peu contestable. En effet, lorsque quelque chose est offert, l’interlocuteur peut soit le refuser, soit l’accepter. Cela est certainement le raisonnement logique et facilement admis : une personne accepte quelque chose qui a été offert. Ou à l’inverse, si on estime donc que rien n’a été offert, la personne en face n’aura pas le loisir de réfléchir à accepter ou refuser. C’est ici la direction causale retenue par la cour d’appel : l’octroi engendre l’acceptation, sans octroi il ne peut y avoir d’avantage.

Il parait intéressant de débattre sur la causalité inverse, qui stipulerait que l’acceptation d’un avantage engendre l’octroi de celui-ci. Nous parlerions donc d’un agent qui pense accepter un avantage, bien que rien n’ait été explicitement offert. Toutefois, et par conséquence, la personne qui l’offre se voit accusée d’octroi d’un avantage. Comme dit précédemment, l’infraction d’acceptation d’un avantage est une infraction intentionnelle. Dès lors, si l’agent public accepte le risque de modifier ses intentions ou ses motivations à effectuer son travail, de perdre son impartialité, les conséquences ne devraient-elles pas être appliquées ?

Finalement, la causalité réciproque affirme que l’octroi engendre l’acceptation et l’acceptation engendre l’octroi. Cette causalité peut être retenue pour autant que l’on tienne pour vrai, acceptable ou même vraisemblable la causalité directe ainsi que la causalité inverse débattues plus haut.

Conclusion

Cette affaire n’a peut-être pas terminé d’alimenter les discussions. Elle soulève un lot de questions à débattre éthiquement : Peut-on réellement faire confiance à quelqu’un qui a menti et accepté un voyage qu’il ne se serait probablement jamais vu offrir 9Le Temps, 2022. «L’affaire Maudet était un problème politique, et non judiciaire»: les réactions à son acquittement. Le Temps. [En ligne] 11.01.2022. [Consulté le : 01.02.2022.] Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/suisse/laffaire-maudet-etait-un-probleme-politique-non-judiciaire-reactions-acquittement ? Une personne peut-elle accepter quelque chose qui n’a pas été offert en premier lieu ?

D’un point de vue juridique, le Code pénal est là pour sanctionner les infractions les plus graves. Le monde politique n’est pas un monde tout noir ou blanc. De ce fait, et bien que nos lois soient faites pour être le plus impartiales possible, il n’y aura jamais d’article de loi parfait pour chaque affaire et de décision indiscutable ! Il n’y a toutefois pas lieu de penser que les bases juridiques suisses soient faibles en ce qui concerne la corruption, car une affaire fait parler d’elle et se retrouve ainsi hautement médiatisée 10Ref. 9 .

Pour revenir à cette causalité inverse, il parait difficile de délimiter cette pensée, tout comme difficile de comprendre comment le prouver. Or ce n’est pas parce que quelque chose ne peut être prouvé juridiquement, que l’intention ne se trouve pas sous-jacente. Le facteur humain, comme dans bien des domaines, est un facteur très important à prendre en compte. L’esprit est insondab